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Mineurs isolés étrangers à Paris : une tragédie

Publié le : jeudi 4 août 2016

Voir en ligne : https://blogs.mediapart.fr/la-chape...

Source : Le Club de Mediapart

Auteurs : A. Nadimi et Morgann B. Pernot

« Deux militantes bénévoles témoignent du calvaire vécu par les mineurs isolés à Paris, victimes de mauvais traitements, parfois même au sein des services censés les prendre en charge comme le DEMIE 75.

Des jeunes exilés : le voyage des enfants solitaires

Si ce devait être une pièce, ce serait une tragédie. Les personnages se compteraient par milliers. Milliers d’enfants solitaires sur les routes de l’exil, qui croisent passeurs, polices, humanitaires, guichetiers dans les bureaux de l’hostile bureaucratie kafkaïenne. Ce serait une pièce absurde, car le vernis qui décorait de bons sentiments la France des droits de l’Homme s’est effrité, et dessous, rien. Le décor, celui des rues parisiennes, arpentées plusieurs centaines de jours, pour autant de fragments des vies de ces enfants conservés précieusement : Afghans fuyant les tirs de kalachnikovs des Talibans dans les Montagnes, enfants soldats d’Erythrée, jeunes Soudanais, Maliens, Tchadiens, Ivoiriens, Guinéens, Maghrébins, orphelins ou légitimement en quête d’un avenir autre que celui de la violence et de la misère. Ils ont entre 10 et 17 ans ; 10 ans : nul ne peut se figurer la douleur provoquée par le regard de cet enfant âgé parti seul après avoir perdu ses parents, qu’il mimait endormis à jamais. Ils ont traversé la mer, à 300, plusieurs semaines sur un cargo rouillé, jusqu’au naufrage parfois. Ils ont traversé les hostiles forêts bulgares dans le froid, sans manger ni boire mais même sans y penser, car il faut marcher, seulement marcher jusqu’à ne plus en pouvoir. Car la police et les animaux sauvages rôdent et que l’on ne compte pas ceux ont disparu au cours de ces nuits. Les stigmates de leur périple, ils les portent sur leurs crânes cicatrisés, leurs os rompus à coups de matraques.

Ce n’est encore que la scène d’ouverture. La véritable violence, elle ne s’impose à eux qu’à l’arrivée, lorsqu’ils réalisent que les milliers versés aux passeurs, que les souffrances étouffées, ont été en vain : la France ne mérite pas tant.

Au royaume du doute permanent : violence symbolique et conséquences dramatiques au DEMIE 75

La scène se situe dans la bucolique rue du Moulin Joly, métro 2 Couronnes, dans l’Est parisien. Passez le portail du numéro 7, vous êtes arrivé au DEMIE, dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers. Le premier des protagonistes, B., 15 ans, Egyptien, dort dans les rues de Paris depuis 3 mois. Au DEMIE, on le sait : c’est eux qui l’ont remis à la rue alors même qu’il gardait son acte naissance bien précieusement depuis qu’il avait pris la route. La rencontre du jour, pour B., c’est la police, qui a encore foi en la loi et estime qu’il doit être mis à l’abri puis évalué comme le prévoit le protocole du dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation des mineurs isolés étrangers : « Le conseil général du lieu où le jeune se déclarant mineur isolé étranger a été reperé ou s’est présenté, l’accueille pendant les 5 jours de l’accueil provisoire d’urgence prévu à l’article L.223-2 du Code de l’action social et des familles. » En effet, lui-même dispose : « En cas d’urgence et lorsque le représentant légal du mineur est dans l’impossibilité de donner son accord, l’enfant est recueilli provisoirement par le service qui en avise immédiatement le procureur de la République. » Mais S., second protagoniste et éducateur au sein du DEMIE 75, interprète les textes et le concept de protection de l’enfance fort différemment. Il jugea donc aproprié de traîner, sur une centaine de mètres, par le bras, le jeune B., lui ainsi déboitant l’épaule en « faisant preuve d’une réelle violence », notent les policiers témoins scandalisés dans leur rapport. Moins bienséant encore était l’accessoire de l’éducateur : une illustration d’arme décorant son téléphone à demi-sorti de sa poche. Comique. B., quant à lui, passera la nuit à l’hôpital Saint Antoine.

Evidemment, ce témoignage est anecdotique. Il arrive parfois que certains enfants soient mis à l’abri dans les hôtels grâce au concours de France Terre d’Asile. Ceux-ci sont infestés de galle et de punaises de lit, aussi bien que beaucoup leur préfèrent la rue et son vent glacé, ses proxénètes, ses clochards ivres et les bagarres du camp sous le pont de Stalingrad. H. 14 ans, Afghan, se serait contenté de la galle et des punaises de lit. Il raconte :"J’avais demandé au vigile de l’hôtel si je pouvais récupérer mon sac. Mais il m’a dit qu’il devait me prendre en photo avant ... J’ai alors refusé. Je me trouvais au 3ème étage de l’hôtel. Je suis ensuite parti, mais au moment où j’ai tourné le dos au vigile il m’a donné un coup. J’ai alors vu qu’il avait une barre de fer et il me donna des coups avec, sur les côtes droites et gauches et dans le dos. Je me suis finalement enfui sans mon sac."H. est convoqué pour sa décision demain... Comme les autres, il a fui la guerre et n’a plus de parents ...Viendra-t-il rejoindre la longue liste des refusés ou aura-t-il droit à une assistance d’aide à l’enfance digne de ce nom ?

Le combat pour la reconnaissance de la minorité

85% des jeunes se déclarant mineur au DEMIE se voient refusés par la DASES à l’issue de l’entretien. Les lettres de refus, ersatz de syllogismes juridiques, se suivent et se ressemblent : « X n’apporte pas la preuve de sa minorité ». Au royaume du doute permanent ... Le DEMIE devient producteur de « ni-ni », ces êtres hybrides évoluant dans un flou juridique leur refusant tout aide financière ou matérielle, ni ASE, ni 115, ni (C)ADA. Alors, quand F., travailleuse sociale du DEMIE, annonce à L. qu’il est refusé malgré son passeport algérien attestant bien de sa minorité, il menace de se tuer. Pas de présomption de minorité, pas de présomption d’innocence, il est un majeur, un menteur. Réflex : on appelle le 17, et quelques minutes après, un véhicule estampillé Police se gare devant le DEMIE afin de mettre dehors cet enfant en larmes.

Le DEMIE 75 a même refusé un enfant de 13 ans. Pourtant, rien ne permettait de douter légitimement de sa minorité. Dès le lendemain, il avait disparu de nos radars. Certainement pour tenter sa chance ailleurs. Mais dans la rue, on ne sait jamais ce qui peut advenir. Je me souviens de S. qui riait, assis sur son matelas sous le pont du métro aérien, car un vieux monsieur rencontré à Gare de l’Est qui se disait médecin l’appelait sans cesse pour l’inviter chez lui. Il savait. Je me souviens d’I. qui passa trois nuits en CRA illégalement. Je me souviens d’O., 16 ans, qui avec deux copains, fut frappé, mis à terre puis menotté par la police de la Goutte d’Or, un soir à Stalingrad. Je me souviens d’un témoin de la scène, choqué, répétant : « c’était la guerre d’Algérie ! ». Mais ce qui me hante, c’est ceux que j’ai oublié parce qu’ils ont disparu.

Le quotidien des jeunes administrés : scènes néocolonialistes à l’ASE-SEMNA

Après les mois de rue, malgré son jeune âge, il explose. M. a 16 ans. Né dans une ancienne colonie française, c’est à l’aube de sa vie qu’il prit la route de l’exil. Mais après la mer déchainée, nul calme. La France, eldorado ? Non, la métropole le violente de plus bel : après la dictature de la misère, c’est celle de l’administration, celle du doute permanent. « Ah oui, tu es mineur toi ? Mais regarde ton visage, ces yeux cernés par les larmes, ces traits marqués par la souffrance. » Car loin du candide regard de celui qui découvre le monde au sortir de l’enfance, celui de M. est froid comme le roc. Froideur violente, quand il sa ritournelle fut déclamée pour la première fois à coups de poings dans la vitre du guichet. Le lieu, le bureau ; les acteurs, la guichetière, le responsable de service, le vigile noir. Et lui, seul, qui soudain explose. Il crie et frappe de son poing sur la vitre qui le sépare de l’État cruel. S’il ne se calme pas, ils appelleront la police. Mais ça n’a plus d’importance. Il ne veut plus être ignoré. Certes, désormais, ils ne le peuvent plus. Mais la réponse est alors déconcertante. Inadaptée, tout d’abord, au jeune âge de l’administré. Et violente, d’une rare violence au parfum colonialiste : « Si vous ne vous calmez pas monsieur, ce sera une fin de prise en charge. On n’est pas en Afrique ici. » Et, suprématie des lois de la nature, enchaînement de déflagrations à intensité variable. Certains jeunes pleurent, d’autres tremblent de rage. Les interventions de la police se succèdent, on croirait à un comique de répétition.

Où est l’avenir ?

Car même lorsque l’on croit le combat gagné, on ne peut lire l’avenir de ces enfants. Si certains seront régularisés à la majorité, auront droit à la carte vie privé familiale, voire à la nationalité, ceux dont la prise en charge aura tardé au-delà de 16 ans pourront être mis à la rue, sans papiers. C’est comme un combat éternel.

Certains des enfants rencontrés à Paris ont préféré renoncer et gravir les marches vers le charter à destination de Kaboul, Afghanistan, et des montagnes funestes de Nangarhar dont la France les rendait nostalgique : « Za ba zam Afghanistan ta … » (« Je retournerai en Afghanistan … »). D’autres ont perdus la raison. Ils ont passé jours et nuits drogués, à l’hôpital, sous surveillance des psychiatres. D’autres encore en sont morts. Nous leur dédions notre combat. »