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Seuls les morts ne demandent pas l’asile ou comment la France accueille les enfants

Publié le : jeudi 15 juin 2017

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Source : https://blogs.mediapart.fr

Auteur : Delphine Schilton, Psychanalyste, membre de la Société Psychanalytique de Paris (SPP)

« Pour refuser le droit d’asile aux mineurs, les évaluateurs de la Croix-Rouge et la Direction de l’aide sociale à l’enfance utilisent des critères erronés pour en récuser le plus grand nombre. Prenant prétexte de ce que les gamins sont, par exemple, autonomes ou débrouillards voire menteurs, ils les laissent ainsi livrés à eux-mêmes. Une psychanalyste décrypte la méconnaissance clinique.

Comment la France accueille les enfants ou seuls les morts ne migrent pas

Au lendemain de l’assassinat de ses deux parents, Mohammed a fui Conakry, la capitale de la Guinée. Il est mineur, il a seize ans et demi. Il prend la route de la Libye, via le Mali. Rapidement, avec ses compagnons d’infortune, il se fait kidnapper par les Touaregs qui les enferment dans un bunker et tentent de les rançonner. Il s’échappe, rejoint les côtes, se fait maltraiter par les passeurs, prend la mer, est secouru par les Italiens, passe de la Sicile à Marseille et de Marseille à Paris.

Arrivé au DEMIE (Dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers, géré par la Croix-Rouge française), au métro Couronnes, où en tant que mineur, il doit se présenter pour bénéficier de la protection de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), on lui récuse sa minorité. Au prétexte qu’il fait preuve de « grande autonomie » et qu’il ne peut produire de papiers d’identité. Je loue ici la sagacité des services de la Croix-Rouge et leur sens de l’observation, si ce n’est leur aptitude clinique : effectivement Mohammed est autonome, et la raison en est simple. Ne faut-il pas faire preuve d’autonomie pour survivre à ces terribles épreuves ? Les mineurs non-autonomes sont morts et leurs cadavres gisent quelque part entre le Mali et la Libye, ou dans la Méditerranée.

Survivre, c’est être autonome. Avoir survécu, est-ce une preuve à charge contre la minorité des sujets ? Je viens d’apprendre que oui : lorsque les évaluateurs du DEMIE (Dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers, géré par la Croix-Rouge française), rencontrent les jeunes, ils ne leur fournissent pas toujours d’interprètes, encore moins de psychologues comme le dispositif le prévoit (mais à quoi bon s’arrêter à des détails), ils adressent un rapport à la DASES (Direction de l’Action Sociale, de l’Enfance et la Santé) avec des recommandations. Celles-ci peuvent être favorables, mais même dans ce cas, elles ne sont pas toujours suivies. Dès qu’un gamin est décrit comme « autonome », cette autonomie fonde souvent une décision négative de la DASES. On marche sur la tête. Il ne reste plus au mineur qu’à se doter d’un avocat qui fera en son nom appel de cette décision. Le jeune se trouvera alors convoqué au tribunal et le juge des enfants pourra avoir recours aux tests osseux pour apprécier sa minorité, tests qui, on le sait, sont peu fiables, avec des marges d’erreur connues, de l’ordre de 18 mois. Il pourra ordonner un placement provisoire (OPP) le temps des expertises, documents ou test osseux.

Bien entenedu, ni Paris, ni la France ne peuvent accueillir, selon le poncif consacré, « toute la misère du monde », et il faut bien définir des critères. Pour ses pairs africains, Mohammed sera considéré mineur encore longtemps : tant qu’il n’aura pas pris femme. Il s’agit donc d’y réfléchir à deux fois avant de choisir des critères. Quels sont les critères qui définissent la minorité et donc la majorité si on ne dispose pas de documents ? Quels sont les faits qui prouvent ou infirment la minorité des sujets ? Sont-ils d’ordre psychologique, social, anthropologique, biologique, génétique ? Et quelles sont les directives politiques de la DASES qui lui font récuser un rapport sur des enfants de douze ou quatorze ans ?

Pour un psychanalyste, les critères de la majorité et donc de l’autonomie psychique d’un sujet sont différents des critères légaux. Est adulte qui peut aimer et travailler, aimer s’entend au sens très large de la formulation africaine : « On devient un homme quand on prend femme », sous-entendu que l’on développe une psycho-sexualité épanouie, et qu’entre autres on en assume les conséquences. Je doute que le DEMIE, la Ville de Paris ou la DASES aient mis ces critères au centre de leur protocole d’évaluation. Au regard de leurs critères, la plupart de nos enfants seraient reconnus majeurs. Il apparaît d’ailleurs que les évaluateurs ont plus à cœur de vérifier la véracité des faits rapportés par les jeunes que l’évaluation réelle de leur minorité. Tu nous mens alors comment te croire quand tu nous dis que tu es mineur est l’implicite d’un tel procédé. De plus, les évaluateurs, savent-ils seulement que traverser une catastrophe fait vieillir prématurément ? Mohammed a survécu au pire, mais il ne sait pas faire fonctionner une douche, il se trompe dix fois avant de retrouver son chemin et répond oui à toutes les questions, par crainte de contrarier son interlocuteur.

Les évaluateurs doivent le comprendre : tous les migrants sont des menteurs, mais ils ne le savent pas forcément. Ils se mentent à eux-mêmes pour supporter l’insupportable, ils mentent par omission, car nous ne supporterions pas leur histoire. Il n’y a qu’à voir comment on les traite. On récuse leur héroïsme, on le travestit en escroquerie, on falsifie notre écoute et leur récit pour préserver notre confort.

Autre motif de rejet : Mohammed ne peut produire de papiers d’identité. Mais le pourrait-il qu’on en contesterait la validité. A vrai dire, dès que les Touaregs kidnappent leurs otages en vue de les rançonner, ils ont la manie de leur confisquer leurs affaires personnelles. Effectivement, lorsque Mohammed leur a faussé compagnie (en faisant preuve d’autonomie), il n’a pas eu la présence d’esprit de récupérer à la réception son portable et son sac à dos. Lorsque l’on voit les sauvetages en mer, on remarque que les migrants n’ont pas ou presque pas de bagages. Ils sont souvent repêchés en pleine noyade, alors les papiers…En prenant prétexte que tous ces jeunes ne sont pas mineurs l’état et les pouvoirs publics se défaussent et jettent à la rue des centaines d’enfants.

Cette autonomie qui vaut à Mohammed de se retrouver dans les limbes juridiques, nous la nommons nous, le peuple psy, « l’intelligence de survie ». Elle coûte cher au sujet, elle peut lui donner à la fois le visage d’un vieillard et d’un nourrisson. Elle crée un déséquilibre psychologique majeur, mais lui permet d’affronter le traumatique. L’apparente autonomie en est un des stigmates. Si elle est un réflexe chez certains, cette intelligence de survie peut ne jamais se déclencher. Je pense ainsi à ceux qui n’ont pas pu survivre à l’innommable de situations carcérales ou de guerre ou, plus près de nous, à ceux qui expérimentent un attentat. Tous les survivants à des situations traumatiques ont eu à aménager un fonctionnement qui peut sembler trompeur à qui n’y connaît rien. Sourire, être enjoué, acquiescer à toutes les propositions, ne sont pas les signes d’une bonne santé psychique et encore moins d’une autonomie réelle ; ils participent de la panoplie de survie. Ils ne sont la preuve que des catastrophes endurées. La pseudo adaptation d’un sujet est un symptôme de fragilité psychique avant tout, un faux soi qui permet dote le sujet d’une armure éphémère afin de supporter l’effroi. Les associations comme la Timmy, Paris d’exil, l’Adjie, Utopia, ont pris le relais devant les rejets trop nombreux qui laissent orphelins les mineurs en demande d’asile. Elles font un travail remarquable, elles assurent le suivi des dossiers et/ou demandent aux citoyens ordinaires de fournir un hébergement ponctuel afin que les gamins ne dorment pas dans les rues. Là où le DEMIE se fait le bras armé d’une politique du refus. Je demande aux services, à la DASES, d’en finir avec des critères ineptes qui font le lit de la banalité du mal, plus de transparence dans les critères de sélection, plus de savoir-faire clinique et d’humanité sont nécessaires. C’est d’enfants qu’il s’agit.

Ce n’est ni la véracité des faits, ni l’autonomie des sujets qui peut permettre de statuer sur le fait de savoir si tel ou tel individu est encore ou pas un enfant voire un adolescent, mais bien la connaissance de ce qu’affronter une catastrophe veut dire. »