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Tribunal administratif de Rennes, jugement du 30 janvier 2020 n°1905553. MIE ivoirien confié à l’ASE par décision de justice à l’âge de 16 ans s’est vu refuser par deux fois la délivrance d’un titre de séjour assorti d’une obligation de quitter le territoire. D’une part, le Tribunal relève qu’au regard des circonstances dans lesquelles M.X est arrivé en France, le préfet ne pouvait se contenter d’écarter l’ensemble des actes d’état civil, sans même avoir sollicité les autorités ivoiriennes aux fins de vérification, alors qu’il ressort des pièces du dossier que les autorités ivoiriennes ont considéré l’extrait d’acte de naissance suffisant (malgré le caractère irrégulier relevé par la PAF) pour délivrer un certificat de nationalité puis un passeport à M.X et que sa minorité avait été retenue par le juge judiciaire, de sorte que le préfet n’apporte pas la preuve, qui lui incombe, que les informations relatives à l’état civil de M.X ne correspondent pas à la réalité. D’autre part, le tribunal relève que M.X a été confié à l’ASE à 16 ans, qu’il a bénéficié d’une aide provisoire jeune majeur renouvelée, qu’il a obtenu un CAP et ne maintient pas de lien avec sa famille, de sorte que le préfet a méconnu les dispositions de l’art. 8 CEDH et de l’article L.313-11, 7° du Ceseda (droit au respect de sa vie privée et familiale). L’arrêté préfectoral est annulé. Il est enjoint de délivrer à M.X un titre de séjour mention "vie privée et familiale" sous un mois.

Publié le : mercredi 15 avril 2020

Source : Tribunal administratif de Rennes

Date : jugement du 30 janvier 2020 n°1905553

Extraits :

«  5. Il ressort des pièces du dossier que M.X produit au soutien de sa demande de délivrance d’un titre de séjour un extrait du registre des actes d’état civil, un certificat de nationalité ivoirienne, une attestation d’identité délivrée le 19 octobre 2017 par le commissariat de police d’Adjamé ainsi qu’un passeport délivré le 8 mars 2017 par les services de la police de l’air et des frontières de Côte d’Ivoire. De la lecture des rapports d’analyse rédigés le 25 juillet 2019 par la direction zonale de la police aux frontières, saisie par le préfet du Finistère dans le cadre du réexamen de la demande de M.X il ressort, d’une part, que l’extrait du registre d’état civil produit est irrégulier dans la mesure où la date à laquelle il a été délivré y est portée en chiffres contrairement aux exigences des articles 17 et 31 du code de l’état civil ivoirien et dans la mesure où il ne comporte par la mention des domiciles des parents ainsi que de leurs nationalités, sans qu’un jugement supplétif ne permette un contrôle de cohérence et, d’autre part, que le certificat de nationalité ivoirienne, bien qu’établi sur un support authentique, fait l’objet d’un avis défavorable dans la mesure où il a été émis sur présentation de l’extrait du registre d’état civil irrégulier, sans mention des dispositions légales en vertu desquelles l’intéressé a la qualité de ressortissant ivoirien et en l’absence de légalisation par les autorités consulaires compétentes. Au regard de ces éléments, le préfet du Finistère fait valoir que M.X ne peut se prévaloir ni du passeport qui lui a été délivré postérieurement à son entrée en France ni de l’attestation d’identité délivrée par l’office nationale d’identification ivoirien le 19 octobre 2016, à une date où il était déjà présent sur le territoire français, puisque ces documents ont été émis sur la base de deux documents précités considérés comme irréguliers par les services de la police de l’air et des frontières. Toutefois, compte tenu notamment des circonstances dans lesquelles M.X est arrivé en France, le préfet du Finistère ne pouvait se contenter d’écarter l’ensemble des actes d’état civil, sans même avoir sollicité les autorités ivoiriennes aux fins de vérification, alors qu’il ressort des pièces du dossier que les autorités ivoiriennes ont considéré ce document suffisant pour délivrer un certificat de nationalité puis un passeport à l’intéressé et que celui-ci a été considéré comme mineur par le juge judiciaire, par un jugement d’assistance éducative du 1er février 2016 exposant que "le statut de mineur étranger isolé de M.X ne saurait être remis en cause, tel qu’il résulte de la combinaison de l’ensemble des éléments d’apprécier sa condition, sans que l’authenticité de ses documents d’état civil ne puisse être remise en cause". Le préfet du Finistère n’apporte ainsi pas la preuve, qui lui incombe, que les informations relatives à l’état civil de M.X ne correspondent pas à la réalité, motif de rejet qu’il n’a d’ailleurs pas opposé à l’intéressé dans sa première décision de refus de titre du 11 février 2019. Il ne pouvait donc déduire de l’irrégularité relevée par les services de la police de l’air et des frontières, compte tenu de sa nature, que M.X aurait délibérément déclaré une fausse date de naissance et qu’il n’établirait donc pas avoir été confié aux services de l’aide sociale à l’enfance à l’âge de 16 ans et 10 mois.

Par suite, M.X est fondé à soutenir que le préfet du Finistère a estimé à tort que les documents produits au soutien de sa demande de titre de séjour étaient insuffisants pour justifier de la réalité de son identité.

6. En second lieu, aux termes de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : "1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)". L’article L.313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose que : "sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / (...) 7° A l’étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n’entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d’existence de l’intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d’origine, sont tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...)". Pour l’application de ces stipulations et dispositions, l’étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toutes les justifications permettant d’apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu’il a conservés dans son pays d’origine.

7. Il ressort des pièces du dossier que M.X est entré en France en novembre 2015 alors qu’il était âgé de 16 ans et qu’il a été pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance jusqu’à sa majorité. Par la suite, il a bénéficié d’un contrat jeune majeur signé par le président du conseil départemental du Finistère, renouvelé jusqu’au 30 décembre 2019. Le requérant a été régulièrement scolarisé dès son arrivée sur le territoire français et a obtenu en juillet 2018 un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) de menuisier installateur. Il s’est inscrit ensuite en première année de formation pour l’obtention d’un CAP de couvreur dans le cadre de laquelle il justifie avoir signé un contrat d’apprentissage, qui n’a cependant pu être poursuivi faute de titre de séjour l’autorisant à travailler. Toutefois, après avoir été informé par les services préfectoraux du réexamen de sa demande, M.X a immédiatement entrepris les démarches utiles auprès du centre de formation des apprentis de Quimper pour suivre un apprentissage en menuiserie charpente pendant deux ans. Il ressort en outre des pièces du dossier qu’il a quitté son pays d’origine peu après le décès de son père, qu’il n’a aucune nouvelle de sa mère qui vivrait au Ghana depuis 2011 et qu’il ne sait pas où se trouve son frère et sa soeur. Si le préfet relève que le requérant est défavorablement connu des services de gendarmerie et de police, il ressort des pièces du dossier que les faits de vol à l’étalage d’une bombe de déodorant commis le 18 octobre 2016 ont été sanctionnés d’un rappel à la loi et que les faits d’agression sexuelle qui auraient été commis le 30 décembre 2017 à Quimperlé ont fait l’objet d’un classement sans suite pour cause d’infraction insuffisamment caractérisée. Au demeurant, le préfet du Finistère ne fait pas valoir que de tels faits seraient de nature à révéler que la présence de l’intéressé constitue une menace à l’ordre public. Ainsi, compte tenu des circonstances relatives à son entrée sur le territoire français et à sa présence depuis plus de quatre années, et dans les circonstances particulières de l’espèce, la décision par laquelle le préfet du Finistère a refusé de lui délivrer un titre de séjour a porté une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, le requérant est fondé à soutenir que le préfet du Finistère a méconnu les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que du 7° de l’article L.313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M.X est fondé à demander l’annulation de la décision par laquelle le préfet du Finistère a refusé de lui délivrer un titre de séjour ainsi que, par voie de conséquence, des décisions par lesquelles il l’a obligé à quitter le territoire français et il a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d’être reconduit d’office.  »

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Jugement disponible au format pdf ci-dessous :

TA_Rennes_30012020_n°1905553