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Calais : la CNCDH demande de nouveau la dénonciation des accords du Touquet

Publié le 7-07-2016

Source : Le Monde

Auteur : Maryline Baumard

« Encore 48 recommandations… Un an après avoir rendu public un rapport sans concession sur la jungle de Calais, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) est retournée sur place pour rédiger un nouvel état des lieux.
La situation ne ressemble plus à celle que la CNDH avait constatée en 2015. Des aménagements ont été réalisés, imposés aux services de l’Etat par Conseil d’Etat ou décidés par le ministère de l’intérieur. Pourtant, le respect des droits de l’homme n’est toujours pas au rendez-vous dans cet immense bidonville où stationnent des milliers de migrants afghans, soudanais, érythréens, syriens ou koweïtiens. La situation s’y est même tendue depuis mars, après l’évacuation forcée de la moitié sud de la zone, sur ordre préfectoral. Depuis, la densité de population de la moitié nord de la jungle fait à tout moment craindre des bagarres mais aussi des incendies, comme le déplore la CNCDH.

C’est sur cette toile de fond que s’est tissé le rapport de l’instance consultative, chargée de rappeler à l’Etat les obligations qu’il a prises en matière de droits de l’homme. Ce travail note des avancées, s’en félicite, et fait le tour de ses demandes de l’an dernier qui ont été effectivement entendues, avant de s’attaquer aux manquements actuels…
Selon l’instance, il faudrait que l’Etat entende encore une liste de 48 recommandations pour que la vie dans la jungle de Calais ne soit plus attentatoire aux droits fondamentaux. Autant dire qu’il reste encore du chemin à parcourir.
Débattre des accords bilatéraux
Comme en 2015, la première recommandation de la CNCDH a peu de chance d’être entendue. L’instance réitère avec force sa demande de « dénonciation des traités et accords dits du Touquet et de Sangatte, ainsi que la dénonciation du protocole additionnel de Sangatte ». Christine Lazerges, présidente de la CNCDH :

« Signés il y a dix ans, les accords du Touquet ont permis au Royaume-Uni, ni plus ni moins, de déplacer leur frontière sur le sol français. Des milliers de migrants se retrouvent bloqués, le littoral français est devenu une zone d’attente et la contribution financière britannique est complètement dérisoire au regard des besoins pour proposer des conditions de vie dignes aux migrants. Le contexte actuel, depuis le vote des Anglais en faveur du Brexit, ne saurait être pris comme excuse pour reculer ou éviter tout débat sur ces accords bilatéraux. »

D’autant que, pour la CNCDH, « du fait de l’externalisation des contrôles frontaliers britanniques sur le sol français, le Royaume-Uni ne sera quasiment jamais compétent pour traiter des demandes d’asile »… Par voie de conséquence, les accords et arrangements administratifs bilatéraux empêchent le dépôt des demandes d’asile au Royaume-Uni, ce qui est « une atteinte à la substance même du droit d’asile », déplore le rapport.

En matière de respect du droit à s’installer en Grande-Bretagne, la Commission « recommande aux pouvoirs publics de poursuivre leurs efforts dans le sens d’une application systématique de la clause humanitaire de l’article 17.2 du règlement Dublin III ». En vertu de laquelle la France peut demander au Royaume-Uni « de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment sur des motifs familiaux ou culturels ». La France se targue de le faire, certes, mais l’avancée des dossiers tend à montrer que c’est seulement du bout des lèvres. Pour les adultes comme pour les mineurs qui ont un parent en Grande-Bretagne.

Détérioration des relations autorités-associations

Tout au long de ce travail, la CNCDH rend hommage au « travail exceptionnel réalisé par les associations présentes jour après jour sur le terrain ». Associatifs et bénévoles assurent en effet toujours des missions qui devraient revenir à l’Etat. Qu’il s’agisse de l’accès aux soins de prévention, de la distribution de nourriture, de celle de vêtements ou de matériel de camping, si les associations n’étaient pas là, des pans entiers de ces besoins de base ne seraient pas couverts. D’ailleurs, une des recommandations porte sur la nécessaire distribution par l’Etat d’un deuxième repas quotidien. Aujourd’hui, un seul est servi.
D’ailleurs, l’organisation déplore que les relations entre le tissu associatif et les autorités se soient tendues au fil de l’année. « Contrairement à ce qu’était la situation en 2015, la délégation de la Commission a eu l’impression très négative d’une détérioration des relations » ; ce qui provoque « une dispersion des initiatives », rappelle-t-elle.
Si la CNCDH applaudit à la création du centre d’accueil provisoire (CAP) sur place et aussi à la mise en place de centres d’accueil et d’orientation (CAO) ailleurs en France, elle préconise une montée en gamme de ces deux types d’hébergement. Dans le premier, le CAP, il lui semblerait nécessaire que « la gestion des espaces de convivialité et de vie » soit concédée à des associations, puisque aujourd’hui les conteneurs qui accueillent quelque 1 500 personnes ne sont que des lieux dortoirs.

« La CNCDH a eu connaissance, à plusieurs reprises, du manque d’information des personnes partant en CAO, sur leurs droits et sur les modalités de leur prise en charge », précise le rapport. C’est pourquoi elle préconise aussi à Calais « la création d’une maison de l’asile, c’est-à-dire un lieu dédié à l’accompagnement individuel des exilés qui souhaitent rester en France, afin de leur délivrer les informations utiles et de les aider à accomplir les premières démarches relatives à la demande d’asile ou encore à préparer un départ vers un CAO ».

Mineurs isolés

Elle demande aussi, même si ce droit ne figure nulle part dans la loi sur l’asile du 29 juillet 2015, que, une fois dans ces structures, ils bénéficient d’un enseignement précoce de la langue française. Les textes de loi ne prévoient cet enseignement qu’une fois que les personnes sont déclarées réfugiées.
Toute une partie du rapport porte sur le cas des mineurs isolés. Un des problèmes majeurs de Calais aujourd’hui, et un sujet dont le gouvernement n’a pas encore pris la mesure. La CNCDH recommande, comme tous ceux qui ont travaillé le sujet avec elle, la mise à l’abri, la délivrance d’une information sur leurs droits, afin que ces jeunes soient en mesure de renoncer de façon éclairée à passer en Grande-Bretagne…
Par ailleurs, la CNCDH écrit avoir « été informée à plusieurs reprises de soupçons de commission de faits de traite et d’exploitation (prostitution, mendicité forcée…), notamment à l’encontre de femmes et d’enfants vivant dans la jungle de Calais. S’agissant plus spécifiquement des mineurs isolés étrangers, la récente étude d’Olivier Peyroux pour l’Unicef conclut aussi à l’existence “d’un risque potentiel de traite” après avoir constaté des cas d’exploitation sexuelle (masculine et féminine), d’incitation de mineurs à commettre des délits et d’exploitation économique », insiste le rapport. La CNCDH joue là encore un rôle d’alerte sur ce sujet de l’esclavage moderne qu’elle fait doucement émerger depuis quelques années en France.
 »

Voir en ligne : http://www.lemonde.fr/societe/artic...