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À Paris, les mineurs isolés de la rue Erlanger condamnés à l’errance

Publié le 4-07-2023

Date de la publication : 04/07/2023
Source : Politis
Autrice : Zoé Cottin

« Il y a encore tout juste deux semaines, 700 jeunes exilés logeaient dans une ancienne école du 16e arrondissement de Paris, rue Erlanger. Après décision de justice, ils n’ont maintenant plus que la rue, les parcs et les ponts pour dormir.

Ils sont deux cents ce 30 juin face au tribunal judiciaire de Paris. Deux cents mineurs isolés à attendre, assis sur une place dallée et quadrillée. Une centaine de gendarmes les encercle tandis qu’ils s’adonnent à toutes sortes de jeux : cartes, devine-tête et ateliers de dessin. Un temps léger et suspendu où seul un mot parcourt les lèvres : "espoir ". À commencer par celles de Cheick, un Ivoirien de 17 ans, qui attend "très fort" son "hébergement prochain", yeux rivés sur la tour de verre. Derrière les vitres, son avenir se joue. Les juges se prononcent sur une plainte déposée par la mairie de Paris demandant "l’expulsion sans délai" de l’école rue Erlanger.

Dans cet ancien établissement du 16e arrondissement, Cheick et environ 700 autres mineurs non accompagnés (MNA) ont été hébergés par les associations d’aide aux étrangers, Utopia56, les Midis du MIE, Tara et Timmy à partir d’avril. Mais face à l’afflux massif de nouveaux arrivants, les bénévoles ont pris conscience de la dangerosité de la situation, signalée en juin par l’ARS. Entre les bagarres et les malaises, ils se débattaient avec l’état psychologique dégradé de jeunes entassés les uns sur les autres, jusqu’à ce qu’ils se décident, le 20 juin, à monter une action coup de poing devant le Conseil d’État. Leur objectif ? Se faire entendre et obtenir une mise à l’abri immédiate. Un cri du cœur né aussi vite qu’étouffé. Alors même qu’ils avaient obtenu une autorisation de rassemblement, la manifestation s’est soldée par leur évacuation manu militari. Depuis, "il n’y a plus d’école, se tourmente, la fondatrice du collectif les Midis du MIE, Agathe Nadimi. Elle a été récupérée et placée sous surveillance par la mairie du 16e  ».

Une expulsion sans relogement

"Pour moi, cela veut dire quelque chose “Liberté, Égalité, Fraternité”, pour nous, qui avons traversé tant de souffrances."

Si une décision d’expulsion ne changeait rien, puisque l’école rue Erlanger est désormais vide, ce jour de délibéré a tout du symbole pour les jeunes. Tous nourrissent le rêve d’être relogés. Et voilà que ce rêve, ils le hurlent sous les fenêtres du Palais de Justice, eux habituellement murés dans le silence de leurs traumatismes. Un premier s’avance, microphone en main : "Je ne suis pas Français, je ne peux pas parler comme un Français. Je suis un mineur étranger. Mais pour moi, cela veut dire quelque chose “Liberté, Égalité, Fraternité”, pour nous, qui avons traversé tant de souffrances. Guinéens, Marocains, Tunisiens, tous colonisés par la France, sommes pourtant venus en frères." D’une seule voix, son public l’acclame, l’applaudit. Enfiévré, l’orateur poursuit : "Ils m’ont arrêté, ils m’ont dit que physiquement je n’étais pas un mineur mais ils ne peuvent pas me juger à mon apparence ! Moi je suis là pour travailler et maintenant je demande un logement et un accès à l’école !" Son cri trouve écho dans l’assemblée, qui l’ovationne à n’en plus finir.

À l’écart de la foule, la fondatrice du collectif les Midis du MIE, Agathe Nadimi, assiste à la scène : "C’est important que ce moment existe pour qu’ils ne restent pas bloqués sur un échec." Téléphone en main, elle attend une réponse de son avocate depuis trois heures mais ne compte pas sur de bonnes nouvelles. "Clairement on va avoir un non-lieu ou une décision d’expulsion", prophétise-t-elle. Le délibéré ne tarde pas à tomber, comme un couperet. L’expulsion doit se faire "dans un délai de huit jours à compter de la signification de la présente décision". Rien qui ne surprenne la bénévole, le coup de massue vient après. À la fin de la copie du jugement, on peut lire ces quelques mots, la cour déboute "les associations de leur demande à conditionner l’expulsion à la mise à l’abri des occupants et à la reconnaissance d’une présomption de minorité". Agathe Nadimi souffle, exténuée par plusieurs semaines sans sommeil : "Et bien voilà, ils vont retourner dormir sous un pont pour certains dès ce soir et puis sous un autre pont pour d’autres, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise."

De parcs en parcs

Voilà le quotidien. Depuis la fin de l’école rue Erlanger, les jeunes errent. Il est difficile de savoir où ils se trouvent exactement, tant ils sont "dispersés". Seul le parcours de ceux qui ont suivi les associations peut être reconstitué selon Agathe Nadimi. "Ils ont d’abord dormi dans le parc des Guilands à Montreuil, en périphérie" mais une plainte a été déposée par le département de la Seine-Saint-Denis pour occupation illégale du terrain et dégradations. Le lendemain, le jardin a été fermé à 19 heures au lieu de 22 heures, pour éviter toute nouvelle installation, ce qui a contraint les associations à trouver un autre emplacement. "On a essayé de les installer au parc des Beaumonts, toujours à Montreuil, mais dès le lendemain il y a eu une plainte de la communauté de communes", retrace Agathe Nadimi.

"C’est la première fois que les policiers ne nous chassent pas !"

Rebelote. Les bénévoles se sont déplacés avec un camion pour récupérer les couvertures et les poser un peu plus au nord, à Romainville, dans le parc de la Sapinière. Cette fois-ci, aucune plainte n’a été déposée par le département, qui en est le propriétaire, mais une main courante. Interrogé à ce propos, le département, par la voie de son service presse, s’en défend ainsi : "Il est important de souligner que l’on a chassé personne, que les jeunes sont partis d’eux-mêmes, sans intervention de la police. Par ailleurs, on regrette que, comme toujours, il n’y ait pas eu de solidarité régionale et nationale pour faire face à ce type de situation. On ne comprend pas pourquoi ce sont toujours les mêmes départements qui se retrouvent à gérer l’accueil."

Le vagabondage se poursuit maintenant pour les jeunes. Certains dorment porte de la Villette, d’autres en banlieue parisienne, sous un pont. Le tableau, le voilà : à 20 heures, au loin, deux cheminées d’usine crachent de la fumée, d’immenses sièges d’entreprise enserrent la Seine d’un côté, et l’autoroute de l’Est de l’autre, où les voitures défilent avec fracas. Depuis le pont, en se penchant, de minuscules duvets allongés sont perceptibles. Loin des regards.

Il faut descendre sur les quais pour y voir plus clair. Ils sont à peu près quatre-vingts jeunes étendus sur des bâches à même le béton. Une minorité d’entre eux ont déplié des tentes. Tout un matériel qu’ils transportent le jour en sac à dos "par peur de se faire voler", reconnaît Kouruoma, "très fatigué par ces déplacements quotidiens". Son rythme ? "Passer à Stalingrad pour petit-déjeuner, rue de Rivoli pour se doucher, porte de la Villette pour déjeuner, et le soir, revenir ici." Alors, il s’installe "à 22 heures, quand la circulation se calme" et se réveille "à 6 heures quand elle reprend." Une routine "épuisante", mais mieux que "pas de routine du tout", plaisantent certains. "Franchement ça fait trois nuits qu’on dort là, on peut presque parler de record depuis qu’on est partis de l’école !", s’esclaffe Youssoupha pour amuser la galerie. "C’est la première fois que les policiers ne nous chassent pas ! Et pourtant ils sont venus. Avec les révoltes de la semaine dernière on a vraiment eu peur qu’ils nous mélangent avec les émeutiers, nous ramassent et nous violentent encore."

Une saisine bientôt déposée aux Nations unies

À 21 h 30, une grande partie d’entre eux se sont couchés, d’autres se sont attroupés autour de bénévoles tout juste arrivés, dont l’une a un profil bien particulier, Cassandra Serier, collaboratrice de Thomas Portes, le député insoumis de la 3e circonscription de Seine-Saint-Denis. Depuis quelques jours, elle vient donner un coup de main mais aussi observer. Le tout pour ramener des éléments aux députés insoumis qui s’apprêtent à saisir le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, sur demande des associations. Avec cette saisine, les élus espèrent déclencher une enquête et "faire en sorte qu’un organisme d’envergure internationale entre dans la bataille pour rappeler l’État sur ses obligations", résume Thomas Portes. Il assure avoir "essayé de l’interpeller par le biais de missives à la Première ministre, laissées sans réponse".

Sur la liste des signataires, on compte Elisa Martin (3e circonscription d’Isère). D’après cette dernière, la saisine aura peut-être un impact limité, étant donné que "le président de la République a déjà refusé de recevoir le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique en mai dernier" – une information seulement relayée par les élus de La France insoumise – mais elle veut croire que cela constituera "une alerte de plus pour montrer que la France ne respecte pas la loi et ne respecte pas la Déclaration des droits de l’enfant". Des propos pour lesquels elle s’est déjà fait remarquer lors d’une question au gouvernement le 27 juin dernier.

Sa question était la suivante : "Aujourd’hui, ces 500 mineurs sont toujours à la rue, sans solution (…). Droit d’asile entravé, conditions de vie indécentes, droit à l’éducation nié, état psychique et physique déplorable, détention arbitraire. Monsieur Darmanin paraît condamner les propos du RN en leur reprochant de laisser mourir des enfants en Méditerranée. Pourquoi acceptez-vous cela sur le sol français ?" La question reste posée. Notamment à l’aube de la présentation du projet de loi asile et immigration face auquel Thomas Portes a déjà assuré que LFI préparait un "contre-projet". Il devrait être présenté avant le début des vacances parlementaires. »


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