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Travail des enfants migrants aux États-Unis : un impact « désastreux » sur la santé et l’éducation

Publié le 12-06-2023

Date de publication : 12/06/2023
Source : RFI
Auteur : Louise Huet

« Très souvent livrés à leur sort à leur arrivée aux États-Unis, des milliers d’enfants migrants se retrouvent de plus en plus contraints à travailler dans des usines, sur des exploitations agricoles ou dans d’autres emplois dangereux et illégaux. À l’occasion de la Journée mondiale contre le travail des enfants ce lundi 12 juin, décryptage de cette situation qui prend une ampleur sans précédent.

Des garçons de douze ans qui réparent des toits en Floride, et flirtent avec le vide. Des jeunes filles qui travaillent dans des abattoirs et désossent des morceaux de viande pour la vente en supermarché. Des collégiens qui fabriquent des pièces automobiles dans des usines, pour Ford ou General Motors…. En mai dernier, des manifestations ont eu lieu devant un fast-food de la marque Popeyes à Oakland en Californie, après avoir découvert qu’une fille de 13 ans était employée plus de 45 heures par semaine par la chaîne.

La liste est longue et accablante. En février dernier, la journaliste d’investigation du New York Times, Hannah Dreier révélait dans une enquête édifiante le quotidien de milliers de mineurs étrangers non accompagnés "souvent originaires de l’Amérique du Sud, arrivant seuls et isolés aux États-Unis. C’est désolant, mais ils sont donc extrêmement vulnérables à l’exploitation et aux abus", indique Reid Maki, directeur de plaidoyer contre le travail des enfants au sein de l’organisation Child Labor Coalition.

Avec près d’une centaine de témoignages, la journaliste dresse un tableau sordide de violations évidentes des lois liées au travail. Cette masse salariale infantile basée sur l’immigration se développe depuis des décennies dans le pays. Mais comme le signale l’enquête, ces deux dernières années, elle a explosé. "Le département du Travail rapporte une augmentation de 69% du travail des enfants sur le territoire américain depuis 2018", relève Ben Smith, spécialiste du travail infantile pour l’Organisation internationale du travail (OIT). Dans le même temps, en deux ans, 250 000 mineurs non accompagnés sont entrés dans le pays, d’après le New York Times.

Un phénomène d’autant plus alarmant qu’il ne se cantonne pas à un cas isolé, mais bien à une multitude de sociétés sous-traitantes de grands groupes industriels, dans une vingtaine d’États américains.

Des conséquences "dramatiques" pour ces enfants

Depuis 1938, la législation américaine nommée "Fair Labor Standards Act" règlemente le travail des enfants. Aux États-Unis, une personne mineure peut commencer à travailler à partir de 16 ans, seulement pour des travaux non dangereux. Pour celles âgées de 14 et 15 ans, certains emplois sont autorisés dans un cadre très précis, et ne doivent pas dépasser trois heures de travail durant les journées d’école. Les travaux dans l’industrie sont proscrits pour les mineurs.

Demeure une exception : le secteur agricole, où l’âge minimal de travail est de 12 ans. Pourtant, "l’agriculture est considérée comme le deuxième secteur le plus dangereux aux États-Unis", d’après le National Safety Council . À l’heure actuelle, la Child Labor Coalition estime que 300 000 enfants travaillent sur des exploitations agricoles, "avec un système de rémunération à la pièce : plus tu récoltes de légumes, plus tu es payé. Ce qui incite à travailler jusqu’à la limite de ses capacités physiques", avance Reid Maki, qui milite depuis trente ans pour rehausser l’âge légal de travail dans le milieu agricole.

When it comes to agriculture, child labor laws in the US are lacking.

On @LastWeekTonight, HRW’s @ZamaHRW highlights this lack of protection for child farmworkers ⤵️ pic.twitter.com/57hnP9jFXS

— Human Rights Watch (@hrw) April 17, 2023

Et pour les jeunes adolescents, ces tâches détiennent des conséquences "désastreuses", comme le rappelle Jodie Soret, directrice du plaidoyer à Unicef France :

"Il y a des effets graves sur la santé psychique et somatique. Dans ces cas précis, l’enfant exécute des tâches répétitives et difficiles, qui ne sont pas du tout tournées vers son développement. Certaines manipulations de produits chimiques sont parfois aussi extrêmement nocives pour la santé de l’enfant, il peut être exposé à la chaleur, au stress, au froid. Et c’est autant de temps qu’il ne passe pas à être scolarisé, à apprendre des choses, à construire son avenir, à connaître des enfants de son âge, à développer des interactions sociales…"

Au cœur du sujet, la question de l’immigration

Une fois arrivés aux États-Unis, ces mineurs étrangers se trouvent dans une zone grise : ils ne sont pas considérés comme des migrants illégaux, mais n’ont pas non plus de visas, et "tombent souvent entre les mailles du filet de la légalité", explique Ben Smith de l’OIT.

Ils sont d’abord accueillis dans des "refuges" du département de la Santé, avant d’être envoyés auprès de "sponsor" (l’équivalent de parrains) qui s’assurent qu’ils ne soient pas exploités, ou auprès de membres de leur famille s’ils en ont. Sauf qu’avec la hausse du nombre d’enfants migrants pénétrant le pays, les agences dédiées "ne sont plus aussi méticuleuses et survolent les dossiers de ces parrains. En deux ans, le département de la Santé a perdu le contact avec un tiers de ces jeunes migrants", raconte Hannah Dreier dans son enquête. Laissant place à toute sorte d’abus de certains sponsors, attirés par l’appât du gain.

Ces enfants sont parfois donc réduits à travailler à des postes éreintants et illégaux, afin de payer des dettes, de rembourser des passeurs, d’envoyer de l’argent à leur famille, ou de subvenir à leurs besoins. En plus de cela, un biais raciste peut rentrer en jeu. "Il y a aussi une tolérance plus élevée à voir des enfants étrangers dans ces usines. Certains Américains ont tendance à penser que comme ces mineurs viennent du Mexique ou du Guatemala, ils sont habitués à ce type de travaux, et ce n’est donc pas un problème", ajoute Reid Maki.

Sauf que cette injustice raciale peut entraîner un cercle vicieux dont il devient impossible de se défaire. "Sur le terrain, j’ai vu une famille hispanique au Texas où plusieurs cousins de 11 ans travaillaient avec leurs parents, leurs oncles, et leurs grands-parents dans des exploitations agricoles, afin de survivre. Et j’ai réalisé : c’est le seul futur que ces enfants vont connaître. Ils n’auront presque aucune autre opportunité d’emploi" s’indigne-t-il.

Remplir un manque de main-d’œuvre avec des enfants

Depuis plusieurs semaines, certains États conservateurs comme l’Iowa, l’Ohio ou le Wisconsin se sont emparés de ce problème en relâchant les protections légales autour du travail des enfants. Le but : permettre aux entreprises d’employer davantage de mineurs via l’extension des heures de travail, ou la baisse de l’âge minimal d’emploi. À chaque fois, ils invoquent le besoin de combler une pénurie de main-d’œuvre.

Une justification "incompréhensible", selon Ben Smith.

"Se dire qu’on va remplir un manque de personnel avec des enfants n’est absolument pas la solution, en termes de droits humains, mais aussi en termes de développement de sa main-d’œuvre. Parce que ces enfants n’auront pas accès à l’éducation, et seront donc des adultes moins productifs. La réponse est plutôt de rendre les conditions de travail meilleures et d’augmenter la rémunération pour attirer des adultes."

Néanmoins, la gouverneure de l’Iowa soutenait, le 27 mai, que "cette mesure de bon sens va permettre aux jeunes de développer leurs talents au sein du monde du travail". Ce à quoi Ben Smith rétorque : "Ce n’est qu’une tentative pour justifier une violation des droits humains. C’est un échec de ne pas reconnaître que les gouvernements ont la responsabilité de protéger les enfants, de s’assurer qu’ils vont à l’école, et que leurs besoins sont remplis sans avoir à travailler pour survivre."

Farmworker youth advocates like Alma are using their voice to help fix broken #ChildLabor laws in the U.S. that allow children who are only 12 to work unlimited hours in the fields as long as school is not in session.
https://t.co/avOfqU6eUM

— Child Labor Coalition (@ChildLaborCLC) June 6, 2023

Des actions gouvernementales qui peinent à s’appliquer

En l’espace d’un an, d’après les chiffres du département du Travail américain, plus de 800 entreprises ont enfreint des lois encadrant le travail des mineurs. Mais alors comment une telle situation, digne des romans de Charles Dickens, est-elle possible ?

Pour Reid Maki, ce phénomène est désolant, mais pas si surprenant. "Les lois en vigueur sont convenables, mais le problème réside plutôt dans leur application. Le département du Travail comptabilise moins de 800 agents chargés de l’exécution des législations dans le pays entier. Mais ce n’est pas assez. Le gouvernement devrait multiplier cet effectif par deux", assène-t-il. S’ajoute à cela le manque de moyens des inspecteurs du travail pour détecter les violations de la loi.

En plus, les États-Unis font partie des quelques pays qui n’ont pas encore ratifié la Convention 138 de l’Organisation internationale du travail, qui fixe l’âge de travail minimal à 15 ans. Pourtant, le pays "est l’un des principaux contributeurs financiers de l’OIT pour éliminer le travail des enfants dans le reste du monde", nous informe Ben Smith.

De son côté, la Child Labor Coalition préconise d’interdire l’emploi des enfants dans plusieurs secteurs dont celui du tabac, et d’intensifier les sanctions à l’encontre des entreprises qui embauchent des mineurs, en augmentant de 10% les amendes distribuées. Les associations appellent aussi à une meilleure gestion des cas par le département de la Santé quand les mineurs migrants arrivent sur le sol américain.

Depuis les révélations du New York Times, l’administration de Joe Biden a mis en place un groupe de travail pour répondre au problème. Le département du Travail a annoncé réfléchir à des initiatives pour appliquer au mieux les lois encadrant l’emploi des enfants. Le département de la Santé compte quant à lui apporter des services de suivi plus efficaces et rigoureux une fois que les enfants migrants quittent les refuges gouvernementaux.

Pour certains, ces annonces ne sont pas suffisantes face à un problème d’envergure nationale, qui "nécessite des législations fortes et ambitieuses". Car, comme conclut Jodie Soret, d’Unicef France : "La place d’un enfant est à l’école et nulle part ailleurs." »


Voir l’article en ligne :
www.rfi.fr