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Loi immigration : le gouvernement re-re-re-revoit son timing

Publié le 10-05-2023

Date de la publication : 10/05/2023
Source : Libération
Autrice : Laure Equy

« Entre pression de LR, de l’Elysée, et volonté de Gérald Darmanin, Elisabeth Borne ambitionne à nouveau de représenter un projet de loi en juillet. Le feuilleton continue…

Freinage, accélération, déviation ? Un véhicule ou plusieurs ? Avec qui sur la file de droite ? Sur l’immigration, l’exécutif semble décidément avoir perdu les pédales. Un rendez-vous discret, qui ne figurait pas à l’agenda officiel, s’est tenu mardi soir à Matignon entre Elisabeth Borne et ses ministres Gérald Darmanin (Intérieur), Franck Riester (Relations avec le Parlement) et Olivier Dussopt (Travail). La cheffe du gouvernement a demandé au premier, en lien avec ses deux collègues, de mener un mois de "concertations" sur l’immigration afin de présenter un projet de loi en juillet, pour un examen au Parlement "à l’automne".

Il faut suivre ! En présentant sa "feuille de route", le 26 avril, la Première ministre a acté qu’"il n’existe pas de majorité pour voter un tel texte", et laissé planer un calendrier bien plus vague. Faute de pouvoir dégager un "accord global" dans les prochains mois, il était question de présenter "en tout état de cause, un texte à l’automne". Quinze jours plus tard, elle y retourne pied au plancher.

Volte-face ? Olivier Véran récuse. "Précision sur la méthode et le timing", et non "revirement", minimisait le porte-parole du gouvernement mercredi, à la sortie du Conseil des ministres. "Il a toujours été dit que le projet de loi sur l’immigration serait examiné au Parlement à l’automne. Pour cela, il faut qu’il ait été présenté […] avant", joue-t-il sur les mots : sénatoriales en septembre, relâche en août… "vous arrivez en juillet". Certes mais Elisabeth Borne, fin avril, jugeait que si "la lutte contre l’immigration illégale est une priorité du gouvernement", "ça n’est pas le moment de lancer un débat sur un sujet qui pourrait diviser le pays".

Critiques de toutes parts

Le feuilleton a donc encore rebondi. Résumons les épisodes précédents : au départ, un plan de communication léché accompagne ce projet de loi censé "contrôler l’immigration et améliorer l’intégration". Début novembre, Darmanin (ex-LR) et Dussopt (ancien PS) s’affichent en duo pour montrer l’équilibre de leur politique. Le texte est présenté en Conseil des ministres le 1er février. Au lieu de ratisser large, il s’attire des critiques de toutes parts. La gauche, inquiète du volet répressif, refuse d’en entendre parler. Partenaire privilégiée, la droite fustige le nouveau titre de séjour pour les sans papiers travaillant dans les secteurs en pénurie de main-d’œuvre et crie à "l’appel d’air". Les macronistes sentent que le projet va dans le mur mais s’en remettent à l’habileté du ministre de l’Intérieur. Lequel compte amadouer d’abord les sénateurs LR, en espérant ensuite que les députés LR ne pourront pas renier la copie amendée par leurs camarades.

Après le recours à l’article 49.3 sur la réforme des retraites (et l’échec du deal avec LR), il faut changer les plans et débrancher l’examen au Sénat. Le 22 mars, Emmanuel Macron annonce que le texte sur l’immigration sera "découpé" en morceaux "plus courts", examinés "dans les prochaines semaines". Le président (LR) du Sénat, Gérard Larcher, souhaitait le report du débat mais refuse ce saucissonnage. Nouvel essai : aux lecteurs du Parisien, le 23 avril, le Président commande "une loi efficace et juste, en un seul texte".

Pendant ce temps, Borne sonde les chefs LR et commence par Larcher. En février, ses troupes ont dégainé en commission leurs marottes : remplacement de l’aide médicale d’Etat par une maigre aide médicale d’urgence, resserrement du dispositif pour les étrangers malades, etc. Fallait-il s’attendre à une autre surenchère des députés LR ? Puis coup de fil au patron du parti, Eric Ciotti, qui brandit l’idée d’un référendum pour modifier la Constitution, instruire les demandes d’asile hors de l’Hexagone et mettre fin au regroupement familial… Voilà la Première ministre refroidie.

"[Elisabeth Borne] refile le mistigri à la droite. Or, les concertations avec LR sont vouées à l’échec. Borne confie la mission à Darmanin et s’en fout car elle connaît le résultat."

— Un élu Renaissance

Qu’est-ce qui pousse alors l’exécutif à revenir à la charge ? Le volontarisme d’un Darmanin, accroché à son projet de loi ? La détermination de Macron, soucieux d’afficher sa fermeté en matière d’immigration ? Ou la pression de LR qui planche sur deux propositions de loi à l’Assemblée ? Place Beauvau, on se satisfait en tout cas de cet ultime arbitrage. Ces dernières semaines, Darmanin a encore foncé sur l’interdiction des manifestations d’ultradroite, après avoir provoqué une brouille avec l’Italie sur la politique migratoire de Meloni, sans craindre de mettre en porte-à-faux Matignon. "L’Elysée a mis la main sur le volant de Matignon pour forcer le virage… analyse un député Renaissance. Le Président a encore répété qu’il voulait un texte." A Matignon, on jure que les deux têtes de l’exécutif sont alignées. Mais est-ce toujours à la Première ministre de se mouiller pour décrocher d’hypothétiques compromis ? Un conseiller du gouvernement décrypte : "Puisque Darmanin affirme pouvoir trouver une majorité, Borne lui dit : “Vas-y, démontre-le”. Je ne la trouve pas en mauvaise posture." Pour un autre élu Renaissance, la cheffe du gouvernement ne veut pas "passer pour celle qui bloque, elle refile le mistigri à la droite. Or, les concertations avec LR sont vouées à l’échec. Borne confie la mission à Darmanin et s’en fout car elle connaît le résultat".

L’"itinéraire bis" de Sacha Houlié

L’exécutif n’entend pas non plus laisser le champ libre à LR qui, divisé sur les retraites, veut se refaire une santé. Au risque de se mettre à la remorque de la droite ? Les députés Renaissance refusent, eux, d’amputer le texte de son volet "intégration" : "On ne renonce à rien, ni à l’expulsion des délinquants étrangers ni à la régularisation des travailleurs dans les métiers en tension, un élément indépassable", prévient Sacha Houlié. Le président de la commission des lois de l’Assemblée le rappellera aux ministres Dussopt et Darmanin, avec lesquels il doit déjeuner ce jeudi en compagnie de la présidente du groupe Renaissance, Aurore Bergé, et du député de Gironde, Florent Boudié. "Il y avait un projet de loi global qui, juridiquement et politiquement, était le plus cohérent. L’hypocrisie de la droite et de la gauche semble obstruer cette voie royale", déplore Houlié, qui a proposé un "itinéraire bis" : détricoter la proposition LR, la réécrire à la sauce macroniste et, parallèlement, inscrire une proposition de loi reprenant les mesures sur l’intégration par la langue et le titre de séjour pour les "métiers en tension". Le député a déjà le texte sous le coude. Pour un autre parlementaire Renaissance, il est logique de rouvrir le dossier dès lors que LR avance ses pions mais il s’étonne que le gouvernement ait laissé fuiter son plan : "Le dialogue devait se mener à couvert. C’est une bêtise d’avoir rendu public le calendrier et la stratégie. On ajoute un risque sur un sujet sensible et déjà mal parti." Si, en plus, le gouvernement loupe les tunnels… »


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www.liberation.fr