InfoMIE.net
Informations sur les Mineurs Isolés Etrangers

Accueil > Actualités MIE > "J’ai commencé à crier et il m’a battu" : les refoulements de la Croatie vers (...)

"J’ai commencé à crier et il m’a battu" : les refoulements de la Croatie vers la Bosnie épinglés par Human Rights Watch

Publié le 3-05-2023

Date de la publication : 03/05/2023
Source : InfoMigrants
Autrice : Maïa Courtois

« L’ONG Human Rights Watch publie ce mercredi un rapport détaillant la violence des refoulements menés par les Croates, à la frontière de l’Union européenne, vers la Bosnie-Herzégovine. Depuis 2020, près de 30 000 migrants auraient subi ces "pushbacks", régulièrement accompagnés de vols et de "traitements humiliants".

La police croate refoule "régulièrement, et souvent violemment", des personnes migrantes vers la Bosnie-Herzégovine, pays frontalier de l’Union européenne. Ces refoulements "à chaud" se font sans évaluation de leur situation ou de leur vulnérabilité, ni prise en compte de leur souhait de demander l’asile.

C’est ce que détaille un rapport de Human Rights Watch paru ce mercredi. Le document est basé sur des entretiens avec plus de 100 personnes, dont une vingtaine de mineurs non accompagnés. Certains exilés affirment s’être faits refouler des dizaines de fois.

La Croatie a rejoint l’espace Schengen en janvier 2023. La Bosnie-Herzégovine, situé aux frontières de l’UE, est devenu un important pays de transit depuis 2018 pour les candidats à l’asile européen.

Lors de ces "pushbacks", la police croate ne prend pas la peine de se mettre en lien avec les gardes-frontières bosniens. Elle repousse simplement les exilés à un point frontalier, et leur intime de repasser de l’autre côté.

"Se frayer un chemin à travers une forêt dense"

D’un témoignage à l’autre, les refoulés ont dû "traverser des rivières ou des ruisseaux, grimper sur des rochers ou se frayer un chemin à travers une forêt dense, souvent la nuit, et sans aucune idée de la façon d’atteindre la ville la plus proche", rapporte HRW.

"Ils nous ont fait enlever nos vêtements. (...) Ils nous ont fouillés. Nous avons dit que nous voulions demander l’asile en Croatie. Nous avons dit que nous avions besoin de soins médicaux. Ils ont dit : "Partez". Ils nous ont expulsés sans tenir compte de notre situation. C’était la cinquième fois que cela nous arrivait", raconte Stephanie, une Camerounaise de 35 ans, refoulée en mai 2022.

La nationalité la plus concernée par ces refoulements reste l’Afghanistan, suivie de près par le Pakistan. Une personne refoulée sur quatre est un ressortissant afghan, et le taux est quasiment le même pour les Pakistanais. Les migrants du Burundi sont ensuite les plus nombreux.

La plupart des exilés interrogés par HRW avaient passé du temps en Turquie et en Grèce en tentant sans succès de s’y stabiliser. Puis, ils ont pris la route des Balkans en passant par la Bulgarie, Macédoine du Nord, Albanie, Kosovo, Montenegro, et Serbie.

13 % des refoulés sont des enfants

Entre janvier 2020 et décembre 2022, le Conseil danois pour les réfugiés (DRC) a dénombré au moins 30 000 refoulements. Un nombre forcément sous-estimé, puisqu’il dépend de ce que parviennent à collecter les ONG sur place. Le DRC a mis en place une base de données, détaillée mois par mois.

En 2022, le mois d’août a été le plus fort en matière de refoulements. Le DRC a enregistré 606 personnes refoulées. Parmi elles, près de 70 enfants. Dont 41 mineurs non-accompagnés.

Environ 13 % des refoulements enregistrés en 2022 concernaient des enfants, seuls ou en famille, relève HRW dans son rapport.

Firooz, un Afghan de 15 ans, raconte un refoulement en avril 2023. La police croate lui aurait donné des coups de pied, volé "500 euros et tout le contenu de son sac à dos", avant de le refouler vers la Bosnie-Herzégovine. "Ils ont dit que s’ils nous attrapaient à nouveau, ils nous battraient pour de vrai."

Vols et "traitements humiliants"

Un autre mineur, Rozad, 17 ans, témoigne d’un vol de téléphone. "J’ai dit : ‘Que faites-vous ? C’est mon téléphone.’ Il a répondu : ‘Oh, c’était le tien. Maintenant, il m’appartient.’ Je ne comprenais pas ce qui se passait. J’ai commencé à crier et il m’a battu."

La police aux frontières "vole ou détruit fréquemment des téléphones, de l’argent, des documents d’identité et d’autres biens personnels", affirme HRW. "Des traitements humiliants et dégradants", souvent à caractère "explicitement raciste", sont décrits.

En mars 2023, sur les 201 personnes refoulées à cette frontière décomptées par le DRC, près d’une sur deux dénonce des traitements dégradants, 27 % ont décrit des atteintes physiques. Quant aux vols, 29 % déclarent en avoir été victimes.

Utilisation des fonds de l’Union européenne

De telles pratiques sont documentées de longue date. Fin 2021, le consortium de journalistes Lighthouse Reports avait réussi à filmer un violent refoulement mené par les Croates. On y voyait des hommes masqués frapper avec leurs matraques des jeunes migrants en leur intimant de retourner sur l’autre rive, vers la Bosnie. Ces hommes faisaient partie d’une unité spéciale financée en partie (uniformes, hébergement, indemnités journalières) avec l’argent de l’Union européenne, via leur Fonds de sécurité intérieure.

La Croatie faisait aussi déjà partie des pays mis en cause dans le "Livre noir des pushbacks" paru fin 2020, un recueil détaillant près de 900 témoignages de refoulements violents, édité par le Border Violence Monitoring Network.

HRW juge aujourd’hui que l’Union européenne a versé des fonds pour la gestion des zones frontalières croates sans avoir de garantie suffisante que les droits humains y soient respectés. Les pratiques de refoulement "violent les interdictions internationales de la torture et d’autres mauvais traitements", de même que "les normes relatives aux droits de l’enfant", estime l’ONG.

Réadmissions en Bosnie, malgré la protection quasi inexistante

D’autres pratiques discutables ont cours, en parallèle des refoulements. D’une part, depuis le milieu de l’année 2022, la police croate émet des "arrêtés d’expulsion sommaires" intimant aux personnes de quitter, dans un délai de sept jours, l’Espace économique européen. Les migrants ayant témoigné auprès de HRW racontent qu’ils n’ont reçu ni traduction, ni information sur leurs droits en recevant ces arrêtés.

D’autre part, il existe un accord de réadmission entre la Croatie et la Bosnie-Herzégovine. Les ONG observent une recrudescence, ces dernières semaines, du recours à cet accord. Rien qu’entre le 23 mars et le 6 avril, les autorités croates ont transféré 559 personnes dans le nord-ouest de la Bosnie-Herzégovine dans ce cadre.

Or, la Bosnie offre une protection quasi inexistante. Le Haut commissariat aux réfugiés des Nations Unies (HCR) décompte 46 demandes d’asile ayant été acceptées sur toute l’année 2022. Parmi ces 46 décisions positives, aucune n’a abouti à l’octroi du statut de réfugié. Toutes consistaient en des protections subsidiaires.

Le HCR "déplore" cet état de fait : la protection subsidiaire reste "une option par défaut", qui "ne permet pas à la personne d’accéder au regroupement familial, aux documents de voyage ou à la naturalisation", décrit-il dans un bilan opérationnel de décembre 2022.

Les réadmissions entre la Croatie et la Bosnie s’apparentent donc à des "expulsions sommaires massives", estime aujourd’hui Human Rights Watch. »


Voir l’article en ligne :
www.infomigrants.fr