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Drame Italie : une soixantaine de migrants meurent noyés, en plein virage anti-migrants du pouvoir

Publié le 27-02-2023

Date de la publication : 15 février 2023
Source : Le Télégramme
Auteur : Frédéric AUTRAN

« Au moins 59 migrants ont péri dans un naufrage près d’une plage de Calabre. Quelques jours après le vote d’une loi italienne qui entrave le secours en mer, ce nouveau drame met aussi en lumière la paralysie politique de l’UE sur ce sujet.

Chaque passager du bateau de migrants qui a fait naufrage dimanche à l’aube près des côtes de Calabre, dans le sud de l’Italie, avait un nom, une famille, une terre d’origine. Mais pour certains d’entre eux, dont le corps ne sera jamais retrouvé et les proches jamais informés, l’histoire et l’identité qui leur étaient propres ont disparu, en ce dimanche de février, dans l’anonymat des eaux agitées de la Méditerranée, qui a englouti leur rêve d’une existence plus digne, plus sûre et plus prospère sur le sol européen.

Combien étaient-ils précisément à bord ? Environ 180, comme l’affirme un rescapé, « plus de 200 » comme l’ont indiqué les pompiers, au moins 250, comme l’assure un autre survivant ? On ne le saura sans doute jamais mais depuis la fin de matinée, le bilan de ce énième naufrage dans le cimetière méditerranéen ne cesse de s’alourdir. « A l’heure actuelle, 80 personnes ont été récupérées en vie, dont certaines ont réussi à rejoindre le rivage après le naufrage, et 43 cadavres ont été retrouvés le long du littoral », indiquaient les gardes-côtes italiens en fin de matinée. Selon le maire de Crotone, il s’élevait à 59 morts vers 16h20. Une vingtaine d’enfants, dont un bébé de quelques mois, dont le corps a été retrouvé sur la plage, figurent parmi les victimes.

Les vidéos diffusées par la police et les médias italiens témoignent de l’ampleur et la violence du drame. Elles montrent des débris de bois disséminés sur une centaine de mètres de la plage de Steccato di Cutro, une station balnéaire située à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Crotone. On y voit également des plongeurs des pompiers s’extirper péniblement des vagues pour ramener un cadavre sur le rivage, des rescapés, sous des couettes et des couvertures de survie, pris en charge par les secours, et les corps des victimes étalés au sol dans des sacs mortuaires blancs.

Selon l’agence de presse italienne Ansa, les victimes du naufrage venaient notamment d’Irak, d’Iran, du Pakistan, de Syrie et d’Afghanistan. Elles auraient quitté le port turc d’Izmir il y a quatre jours à bord d’un caïque, une grande embarcation en bois motorisée. Le navire aurait été repéré pour la première fois, samedi soir, par un avion de l’agence européenne Frontex, à environ 75 kilomètres des côtes de Calabre. Toujours selon Ansa, deux patrouilleurs italiens auraient alors pris la mer mais auraient été contraints de rebrousser chemin en raison des mauvaises conditions météo. Dimanche, à l’aube, le navire transportant les migrants se serait fracassé sur des rochers, non loin du littoral.

Le gouvernement italien rejette la faute sur les passeurs

Comme souvent après un tel drame, les premières réactions oscillaient entre indignation, compassion et récriminations. « Des dizaines et des dizaines de morts noyés, dont des enfants, beaucoup de disparus. La Calabre est en deuil pour cette terrible tragédie », a déploré dans un communiqué Roberto Occhiuto, président de la région de Calabre. « Qu’a fait l’Union européenne pendant toutes ces années ? Où est l’Europe qui devait garantir la sécurité et la légalité ? Qu’est-il arrivé aux opérations de dialogue avec les pays d’origine des migrants. Toutes ces questions n’ont malheureusement, à ce jour, pas de réponse. Et ceux qui restent dans les territoires sont obligés de gérer les urgences et pleurer les morts », a ajouté ce membre du parti Forza Italia de Silvio Berlusconi.

Le président de la République italienne, Sergio Mattarella, a lui aussi déploré le naufrage tout en exhortant la communauté internationale à agir. « Un grand nombre de ces migrants venait d’Afghanistan et d’Iran, fuyant des conditions très difficiles », a indiqué le chef de l’Etat, exprimant le souhait d’« un fort engagement de la communauté internationale pour éliminer les causes des migrations : guerres, persécutions, terrorisme, pauvreté »… Depuis le Vatican, le pape François, évoquant sa « douleur », a dit « prier pour les disparus et pour les survivants ».

Arrivé au pouvoir en octobre, notamment sur la promesse de réduire le nombre de migrants arrivant en Italie, la coalition dirigée par Giorgia Meloni, la plus à droite de l’histoire de l’Italie, a de son côté rejeté la faute sur les passeurs. Tout en faisant part de sa « profonde douleur », la cheffe du gouvernement, à la tête du parti postfasciste Fratelli d’Italia, a jugé dans un communiqué « criminel de mettre en mer une embarcation de 20 mètres à peine avec 200 personnes à bord et une mauvaise prévision météo ». Son gouvernement « est engagé à empêcher les départs et avec eux ce genre de tragédie, et continuera à le faire, exigeant avant tout la plus grande collaboration des Etats de départ et d’origine », a-t-elle ajouté. Dans la même veine, son ministre de l’Intérieur, Matteo Piantedosi, qui s’est rendu sur place dimanche, a estimé que cette « tragédie » démontrait à quel point il était « absolument nécessaire de lutter fermement contre les filières de l’immigration clandestine ».

« Fosse commune »

Selon le décompte de l’Organisation internationale pour les migrations, plus de 26 000 migrants ont disparu depuis 2014 en Méditerranée, route maritime la plus empruntée et la plus périlleuse au monde. Un chiffre « certainement très en dessous de la réalité » car « beaucoup de personnes disparaissaient en mer sans témoin », indiquait le mois dernier Najat Vallaud-Belkacem, présidente de l’association France Terre d’Asile, lors d’une conférence du Climat Libé Tour, à Bordeaux. La Méditerranée n’est pas un « cimetière » mais une « fosse commune », martelait de son côté François Thomas, président de SOS Méditerranée.

Depuis des années, les ONG de sauvetage en mer déplorent à la fois le manque de moyens européens et les obstacles grandissants que leur imposent certains pays, dont l’Italie. Le drame de ce dimanche, en Calabre, survient ainsi quelques jours après l’adoption par le Parlement italien d’une loi très controversée sur le sauvetage des migrants. Le texte, qui grave dans la loi un décret signé le 2 janvier, oblige les navires humanitaires à effectuer un seul sauvetage à la fois, et à rallier ensuite immédiatement un port de débarquement.

Dans un communiqué publié début janvier, Médecins sans frontières (MSF) et une vingtaine d’organisations engagées dans la région avaient exprimé « leurs plus vives inquiétudes » au sujet de cette loi, destinée selon elles à « maintenir les navires hors de la zone de sauvetage pendant des périodes prolongées », et donc, à « entraver l’assistance aux personnes en détresse ». Quelques heures après l’adoption de la loi au Parlement, le navire humanitaire Geo Barents de MSF a été immobilisé jeudi pour vingt jours dans un port sicilien par les autorités italiennes. « Alors que nous sommes bloqués au port, des tragédies évitables continuent de se dérouler sous nos yeux. Combien de gens devront être sacrifiés avant que l’Italie et l’Union européenne garantissent les opérations de recherche et de secours, et soutiennent le travail des ONG, qui sauve des vies ? » a interpellé l’organisation MSF sur Twitter, dimanche.

Peu après, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a exhorté à "redoubler d’efforts concernant le Pacte sur les migrations et le droit d’asile". Une déclaration de bonne intention qui n’engage personne, sur un sujet qui fait l’objet d’un blocage politique profond entre pays européens. Au lendemain de la "crise migratoire" de 2015, des négociations entre Etats membres avaient été lancées par les institutions de l’UE. En septembre 2020, elles avaient pris la forme d’un Pacte européen sur la migration et l’asile, toujours en cours de discussion. "Il est temps que les Etats membres sortent de l’indifférence et mettent un terme aux drames humains qui se jouent en Méditerranée", martelait le mois dernier Najat Vallaud-Belkacem. »

Voir l’article en ligne : www.liberation.fr