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Qui sont les « méchants », Monsieur Darmanin ?

Publié le 17-02-2023

Date de la publication : 17 février 2023
Source : Le Club de Médiapart
Auteur.rice.s : Collectif ardennais de défense des jeunes majeurs étrangers

« Les OQTF prononcées dans les Ardennes contre de jeunes majeurs étrangers, arrivés mineurs non accompagnés en France, créent la plus grande inquiétude concernant la mise en œuvre de la future loi immigration, dont le projet a été présenté par le Ministre de l’Intérieur début novembre 2022.

Le projet de loi immigration n’a même pas encore été discuté au Parlement, que son versant « fermeté » a déjà été mis en œuvre dans le département des Ardennes.

Depuis l’été 2022, près de vingt-cinq anciens mineurs non accompagnés, principalement originaires de pays africains et devenus majeurs, ont reçu de la préfecture une OQTF (obligation de quitter le territoire français). La plupart de ces jeunes étrangers ont fait un recours auprès du Tribunal Administratif de Châlons-en-Champagne, lequel a déjà pris sa décision pour certains d’entre eux, confirmant ou infirmant la décision du préfet des Ardennes.

Pour quelle raison la préfecture a-t-elle jugé que ces jeunes n’avaient pas leur place en France et qu’ils devaient être expulsés ?

Qu’ont-ils fait de si «  méchant  », pour reprendre les termes de Monsieur Darmanin ?

Pour un grand nombre de ces jeunes, le motif de l’OQTF invoqué par la préfecture est le fait qu’ils auraient présenté de «  faux papiers  » lors de leur arrivée en France. Des documents qui leur ont pourtant permis d’être reconnus comme mineurs non accompagnés par les tribunaux français et, à ce titre, de bénéficier des droits qui sont les leurs en étant accueillis par les services du département.

Cette justification de l’OQTF serait-elle alors un prétexte de la préfecture pour expulser de jeunes étrangers qui «  ne veu[len]t pas s’intégrer, qui ne respecte[nt] pas nos règles, qui commet[tent] des actes de délinquance  », toujours selon Monsieur Darmanin ?

Quels efforts n’auraient-ils donc pas faits pour s’intégrer, faisant d’eux des « méchants  » ?

La réponse semble difficile au vu de leur parcours.

Ces jeunes se sont investis dans leur scolarité, ont appris le français à l’école et auprès d’associations dans des cours du soir, ils ont préparé des diplômes et se sont construit un avenir dans le département.

Au moment où ils ont reçu leur OQTF, ils étaient salariés ou en apprentissage, des employés ou apprentis dynamiques et volontaires dont la perte est une catastrophe pour leurs patrons. Beaucoup d’entre eux travaillaient en effet dans les «  métiers en tension » pour lesquels la loi immigration, dans son volet «  humaniste », prévoit d’accorder des titres de séjour. Une aubaine pour les patrons ardennais, notamment dans le secteur industriel. Le 13 février, interrogé par Radio 8 (radio locale), le président du comité local UIMM (Union des industries et métiers de la métallurgie) Champagne-Ardenne, affirmait en effet que « près de 60 % des entreprises [de l’industrie ardennaise] ont des besoins en recrutement et plus de deux-tiers peinent à trouver de bons profils.  » Et la situation a peu de chance de s’améliorer vu l’évolution démographique du département (une perte de 10 000 habitants entre 2014 et 2022 due principalement à un solde migratoire négatif).

Doit-en en conclure que le seul fait d’avoir présenté des documents, dont la préfecture remet en cause l’authenticité, ferait de ces jeunes étrangers des «  méchants  », des « délinquants » qui « menaceraient l’ordre public » ? Peut-on réellement faire porter la responsabilité à un mineur d’avoir fourni des documents jugés falsifiés ? Quand bien même ces documents ne correspondraient pas aux critères propres à l’administration française, il est clair que dans la plupart des situations, ces jeunes n’ont pas délibérément et en conscience fourni des documents que l’État français juge irrecevables.

Il est certain qu’après avoir reçu une OQTF, ces jeunes sont inexorablement conduits vers la clandestinité puisqu’ils sont expulsés de leur logement et qu’il leur est interdit de travailler. Partis mineurs de leur pays, ces jeunes en ont quitté la misère, l’absence de perspective ou un mariage forcé. Ils ont parcouru des milliers de kilomètres, au péril de leur vie. Il leur est tout simplement impossible d’envisager un retour dans leur pays, quand bien même celui-ci accorderait le nécessaire laissez-passer consulaire.

Ils deviendront donc des « sans-papiers », obligés de travailler illégalement, vivant dans la peur permanente d’être arrêtés.

Plutôt que de contribuer à la richesse humaine, matérielle et culturelle de la France, leur présence ne sera plus considérée, par les autorités françaises, que comme une charge de plus pour l’administration et la police, alors même que depuis des années, l’Etat français avait tout mis en œuvre pour leur intégration ; alors même que depuis des années la plupart d’entre eux ont tout mis en œuvre pour s’intégrer.

Si on pensait trouver un peu d’humanisme, ou tout du moins un peu de pragmatisme dans les décisions prises par l’État dans le département des Ardennes, force est de constater que la définition des adjectifs " gentils" et " méchants ", a priori simple, recèle des subtilités qui sont vraisemblablement difficiles à comprendre. ».

Voir l’article en ligne : blogs.mediapart.fr