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« La difficulté, c’est souvent le deuil de la famille »

Publié le 2-05-2017

Source : www.respectmag.com

Auteur : Roxanne D’Arco

« Armando Cote est psychologue clinicien et psychanalyste au centre de soins Primo Levi, depuis 2005. Responsable des enfants et des adolescents, il revient pour Respect mag sur les cas de mineurs isolés étrangers qu’il a pu rencontrer.

Pourriez-vous rappeler ce qu’est le centre Primo Lévi ?

C’est un centre de soins. Depuis sa fondation, en 1995, c’est un centre très connu. Beaucoup de réfugiés politiques viennent ici. On entend parler du centre par les CADA, les centres d’accueil des demandeurs d’asiles, les écoles, beaucoup de bouche-à-oreille, ou encore la Croix-Rouge. On connait notre existence. Mais vu qu’on ne peut pas recevoir tout le monde, l’accueil essaie d’orienter le mieux possible. Pour les enfants et les adolescents, on fait des efforts pour qu’il n’y ait pas d’attente.

Comment se passe le traitement des mineurs isolés étrangers ?

Au centre, un adulte est suivi de deux à quatre ans. Un enfant, lui, est suivi entre un an et demi, et deux ans. On s’est rendu compte pourtant que la situation est compliquée, notamment pour les mineurs isolés étrangers. Ils arrivent en France, ils sont reçus par un tas de professionnels, le minimum étant 18 personnes en moyenne avant d’arriver à un endroit stable.

Vous imaginez que le jeune a déjà raconté son histoire plusieurs fois, il ne va pas à nouveau tout dire, alors qu’il déjà fait pour obtenir quelque chose. On reçoit donc la personne qui s’occupe de lui. Et on prend le temps de créer une demande. Elle n’est pas forcément là. Pour ces jeunes, ça ne veut rien dire. Ils sont perdus en arrivant en France, donc la question est d’évaluer si le jeune a des symptômes ou des demandes qui méritent un suivi psychologique. La plupart du temps, non, pas vraiment.

Ils ont surtout besoin de soutien. En France, les prises en charges sont tellement coupées. Nous, on essaie de rester un point de repère pour ces jeunes. Tous les changements sont là, mais nous on reste et ils peuvent revenir donner de leurs nouvelles. C’est important, parce qu’ils lâchent tout, et ça les aide.

J’ai eu des cas où après un suivi terminé, les éducateurs ou les personnes qui suivent le dossier veulent qu’ils reviennent alors que ces jeunes refusent. Ils passent à autre chose. Ça marque aussi pour eux une « intégration ».

Il y a un problème au niveau du système

Est-ce que vous suivez seulement des jeunes qui ont été reconnus comme mineurs ?

Il faut savoir qu’on a mis longtemps à comprendre pourquoi nous avions si peu de mineurs isolés ici. On s’est rendu compte que la grosse majorité des mineurs isolés qui venaient nous voir étaient pris en charge par les services de protection à l’enfance. Le problème, c’est que les autres ont beaucoup trop de problèmes, la galère du quotidien… Ce n’est pas le moment pour eux de prendre le temps de nous voir. Il y a un problème au niveau du système. Ils auraient besoin de venir.

Quelles séquelles observez-vous en général pour ces cas précis ?

C’est toujours difficile de généraliser parce que chaque cas est très différent. Pour certains, c’est presque une chance pour eux. C’était des enfants de la rue, sans espoir, avec rien en vue. Ils sont souvent premiers de la classe et motivés.

La difficulté, c’est souvent le deuil de la famille. Il faut imaginer qu’ils font le deuil pour quelque chose dont ils ne savent pas, au final, ce qu’il en est. Même si on relance les recherches, souvent, on ne retrouve pas les parents. Les jeunes s’adaptent, et ils ont une idée de la vie qu’ils souhaitent mener. Parfois, le frère, le père ou la mère finissent par les retrouver et de fait, les projets tombent à l’eau. Ce type de rencontres devient très compliqué.

Après, il y a la solitude. Et si plus tard, ils ont des enfants, ils se demandent comment ils vont faire, ce qu’ils vont dire…

On ne les considère pas suffisamment comme des enfants en danger

Existe-t-il des symptômes révélateurs ?

Le premier symptôme quand on les reçoit, c’est le trouble du sommeil. Et puis, les adultes savent qu’il faut parler. Mais pour les mineurs, ce sont des adultes qui font la demande pour eux. Ils le voient, comme au détour d’une sortie. Ce sont des états un peu dépressifs qui inquiètent l’entourage. Ça se passe ainsi pour presque 100% des cas.

Pour vous, que faudrait-il faire pour améliorer la situation des mineurs isolés étrangers en France ?

Il y aurait 10 000 choses à faire ! Les mineurs ne rentrent pas dans le cas de la demande d’asile (qui existe seulement pour les adultes). Pour ceux entre 14-15 ans, il n’y a pas de doute donc ça va. En France, il y a une prise en charge qui est faite. Mais pour ceux qui sont dans la tranche d’âge au-dessus, il y a tout à revoir. Il faudrait être plus souple, mettre en place un vrai accueil avant d’installer le soupçon. On ne se rend pas compte qu’ils mettent un à trois ans pour arriver en France. Après, il y a un à deux ans de démarches.

Il faudrait peut-être prendre en compte l’âge auquel ils quittent le pays. La loi ne tient pas compte de tout le parcours migratoire. On ne les accueille pas. Ils perdent énormément de temps à trouver une moyen d’être protégés. Dans les listes qu’on a faites dans la jungle de Calais, il y a plein d’enfants qu’on ne retrouve plus ! On a essayé de croiser les listes, de les retrouver en France, en Italie, en Europe, on ne sait pas où ils sont.

On ne les considère pas suffisamment comme des enfants en danger. Depuis une quinzaine d’années, on est dans la spécialisation, dans les diagnostics, au point qu’on se perd dans les mots ! Au fond, ce sont des enfants en danger, c’est tout ! C’est dommage… »

Voir en ligne : http://www.respectmag.com/28375-min...