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Suicide d’un mineur isolé : une éducatrice dénonçant la situation mise à pied

Publié le 31-01-2017

Source : www.lexpress.fr

Auteur : Iris Péron

« Dans la Marne, une association d’accueil des mineurs isolés est opposée à l’une de ses salariées, suspendue pour "faute grave". Accusée d’avoir critiqué les conditions d’accueil des jeunes réfugiés, elle continue de dénoncer leur "mise en danger".

Début janvier, Denko Sissoko, un jeune réfugié Malien s’était suicidé en sautant par la fenêtre de sa chambre du foyer d’hébergement à Châlons-en-Champagne. Quelques jours plus tard, l’une des éducatrices spécialisées de ce centre d’accueil et d’orientation pour les mineurs isolés (CAOMI) de la Marne, Ibtissam Bouchaara, avait pris la parole. Elle tenait à dénoncer publiquement les conditions de prise en charge de ces jeunes migrants et le manque de moyens et d’accompagnement. Cette déléguée du personnel a été mise à pied lundi par son employeur.

Dans un courrier adressé à l’éducatrice, La Sauvegarde de la Marne, l’association financée par le Conseil départemental qui l’emploie depuis 16 ans, l’informe qu’elle est "mise à pied à titre conservatoire dans l’attente de [la fin] de la procédure de licenciement pour faute grave". Ibtissam Bouchaara a été convoquée lundi pour un entretien en vue d’une sanction disciplinaire.

"Des attaques infamantes et répétées"

Le 17 janvier, l’association qui l’emploie et n’a pas souhaité répondre aux sollicitations de L’Express, avait diffusé un courrier à l’ensemble de son personnel. Elle dénonçait "des attaques infamantes et répétées" à son encontre, de la part de "certains des siens" et demandait "réparation du préjudice". "Ces déclarations irraisonnables et fallacieuses portent atteinte à la légitimité et à la crédibilité de toutes nos activités", fustigeait aussi la lettre.

"On me reproche d’avoir dénigré l’entreprise, d’avoir critiqué la politique migratoire du Conseil départemental et d’avoir manqué à mon obligation de discrétion, inscrite dans le règlement intérieur", analyse Ibtissam Bouchaara auprès de L’Express, au lendemain de son entretien. "Je suis déléguée du personnel et citoyenne, c’est normal que je m’exprime devant les médias. Et mes propos ne sont ni diffamatoires, ni injurieux, je dénonce seulement une politique d’accueil globale !", s’énerve l’éducatrice, qui a alerté il y a quelques jours le défenseur des droits, Jacques Toubon, sur la "mise en danger des jeunes migrants de la Marne".

"Les mineurs français ne sont pas accueillis de la même façon"

A ce jour, 87 réfugiés sont accueillis par l’association La Sauvegarde de la Marne. "37 sont des mineurs avérés, et les situations des autres sont en cours de vérification. Mais pour le moment, ces derniers ne peuvent être scolarisés", détaille Ibtissam Bouchaara. Elle rappelle que seuls quatre éducateurs et une cheffe de service veillent sur eux dans la journée. "Les mineurs français qu’on prend en charge ne sont pas accueillis de la même façon. Il n’y a pas la même bienveillance pour les jeunes réfugiés", déplore l’éducatrice spécialisée.

Le suicide de Denko Sissoko a été l’élément déclencheur de son exaspération. Et les reproches faits à son association mais aussi, indirectement, au Conseil départemental qui la finance, sont nombreux. "Vous imaginez qu’entre la mort de Denko et la marche blanche qui a eu lieu quelques jours plus tard, le Conseil départemental et l’association n’ont pas jugé bon de renforcer notre équipe, alors que les jeunes ont été confrontés à la mort d’un de leurs proches ? Ce n’est pas humain..."

"Ni le Conseil départemental, ni l’association n’ont voulu prendre en charge le rapatriement du corps de Denko au Mali, dénonce-t-elle aussi. C’est l’association Réseau Education Sans Frontière (RESF) qui a dû lancer une cagnotte..."

La salariée regrette "une absence de remise en cause" de la part de son employeur. Le Conseil départemental de la Marne souligne de son côté qu’il est tributaire de "moyens restreints, loin d’être exponentiels". Il a également indiqué à L’Express qu’il laissait à l’association, avec laquelle il entretient "un partenariat fort et durable" et "qui n’a pas un travail facile au quotidien", le soin de "gérer son personnel".

"Ce sont des enfants qui sont là, et qui vont rester"

Malgré sa mise à pied provisoire, dont la décision finale peut intervenir "d’ici les deux prochains mois", Ibtissam Bouchaara ne compte pas abandonner son combat. "La situation est violente pour moi, j’ai deux enfants, je suis éducatrice spécialisée depuis 16 ans, j’ai travaillé sans difficultés dans quatre ou cinq structures... relate-t-elle. Mais je ne lâche pas. Je suis toujours déléguée du personnel, alors si je cède sur mon droit d’expression, de quoi j’ai l’air vis-à-vis des autres salariés de la structure ?"

L’éducatrice se sent soutenue par de nombreux collègues et membres d’autres associations. Ils étaient une cinquantaine à manifester devant les locaux de son employeur, lundi. "Ce sont des enfants qui sont là, et qui vont rester, commente aussi Ibtissam Bouchaara à propos des mineurs isolés pris en charge, alors nous devons mettre en oeuvre tous les moyens dont nous disposons pour éviter qu’ils se retrouvent en situation de repli communautaire ou de radicalisation".

En attendant d’être fixée sur son sort, l’éducatrice "invite des avocats à saisir la justice, pour faire constater le manque de moyens et d’accompagnement des jeunes". »

Voir en ligne : http://www.lexpress.fr/actualite/so...