InfoMIE.net
Informations sur les Mineurs Isolés Etrangers

Accueil > Actualités MIE > Mineurs étrangers isolés : une éducatrice menacée de licenciement pour avoir (...)

Mineurs étrangers isolés : une éducatrice menacée de licenciement pour avoir exercé son devoir d’alerte

Publié le 28-01-2017

Source : http://www.nuitetjour.xyz

Auteur  : Véronique Valentino

« Le 6 janvier dernier, un jeune Malien, Denko Sissoko, est décédé après s’être jeté de la fenêtre de sa chambre, au 8e étage du foyer Bellevue, à Châlons-en-Champagne. L’éducatrice spécialisée qui avait alerté sur les conditions indignes réservés à ces jeunes mineurs étrangers est aujourd’hui menacée de licenciement.

C’est une affaire qui en dit long sur la France d’aujourd’hui. Une France qui institutionnalise le délit de solidarité et qui s’acharne sur ceux qui refusent la non-assistance à personne en danger. Pour avoir dénoncé les conditions d’accueil et de suivi des mineurs isolés étrangers dans son département, la Marne, une éducatrice spécialisée est menacée de licenciement. Et cela, alors que le 6 janvier dernier, l’un de ces jeunes migrants décédait après s’être jeté de la fenêtre du foyer dans lequel il était hébergé. Hier, l’Autre Quotidien publiait un texte du Réseau éducation sans frontières de Châlons-en-Champagne, la ville où s’est produite le drame. Un drame qui, selon RESF, « met en lumière la tragédie que vivent ces jeunes étrangers livrés au tamis de l’évaluation et de la pression institutionnelle, maltraités, suspectés, dénigrés, parce que la France ne veut pas les accueillir ». Aujourd’hui, c’est un autre éclairage, très politique, sur les menaces et pressions qui s’exercent sur ceux qui, pourtant, ne font que leur travail.

Un traitement discriminatoire

Ibtissam Bouchaara, éducatrice spécialisée depuis plus de 16 ans et déléguée du personnel Sud Santé Sociaux, est convoquée lundi 30 janvier par son employeur, l’association La Sauvegarde de la Marne, pour un entretien qui pourrait se conclure par son licenciement. Ce qu’on lui reproche ? D’avoir dénoncé publiquement le traitement discriminatoire réservé aux jeunes migrants mineurs. Agée de 37 ans, Ibtissam Bouchaara travaille depuis plus de seize ans pour l’association La Sauvegarde de la Marne, une structure de droit privé qui gère, entre autres, le foyer Bellevue dans lequel le département héberge les « MIE », pour mineurs isolés étrangers.

Quatre éducateurs pour 73 enfants

Educatrice spécialisée, Ibtissam Bouchaara est élue le 19 décembre 2016 déléguée unique du personnel, et donc également secrétaire du comité d’entreprise et du CHSCT de l’association La Sauvegarde, à laquelle le département de la Marne sous-traite le suivi des jeunes pris en charge au titre de l’Aide sociale à l’enfance. Le 23 décembre 2016, fraichement élue, elle décide de se rendre au foyer Bellevue pour y rencontrer ses collègues du Service d’aide aux mineurs étrangers isolés (SAMIE) et examiner leurs conditions de travail. Le SAMIE, qui peut prendre en charge jusqu’à 80 jeunes, est également géré par la Sauvegarde. Il a été créé, à titre expérimental, pour trois ans, en octobre/novembre 2015. Ce qu’elle découvre la laisse sans voix. Une bâtisse délabrée de la Cité de la Bidée, comprenant de 150 à 200 logements, où le département héberge les jeunes migrants relevant du dispositif des mineurs isolés étrangers, qui cohabitent avec des adultes parfois violents, comme elle le raconte sur le blog « Dormira Jamais » : « Pas de veilleur de nuit pour leur sécurité, pas de psychologue pour soigner les traumatismes, pas de maîtresse de maison pour le côté maternel mais un mélange de mineurs avérés, d’autres en cours d’évaluations et d’adultes en difficulté qui vivent dans le même bâtiment… »

Sur Internet, la résidence Bellevue est décrite comme un foyer accueillant des personnes âgées… Sur les 73 jeunes accueillis par le Service d’aide au mineurs étrangers isolés (SAMIE), 36 sont reconnus comme mineurs, les autres sont en attente d’évaluation. Mais ce que découvre la déléguée du personnel, c’est que les 73 jeunes hébergés ne sont encadrés que par quatre éducateurs, présents la semaine de 9h à 18h et le samedi, mais qu’ils sont seuls le soir et le week-end. « Des jeunes à qui le département paie une chambre, mais sans réels moyens pour leur assurer un véritable suivi éducatif, je n’avais jamais vu ça », s’indigne Ibtissam Bouchaara. Avant d’expliquer que « dans un internat, le taux d’encadrement est de deux éducateurs pour dix enfants ».

Rien de prévu pour Noël

L’éducatrice s’étonne par ailleurs de constater qu’un 23 décembre, à la veille de Noël, rien n’est prévu pour les jeunes résidents. Ni fête, ni cadeaux. « Normalement, le département octroie des moyens pour organiser des activités en faveur des jeunes de l’aide sociale à l’enfance : du cinéma, du bowling, des sorties », explique cette éducatrice de 37 ans. « Certes, il peut y avoir des placements en appartement ou en foyer de jeunes travailleurs avec un certain degré d’autonomie, mais là c’est un dispositif hybride bizarre, dans lequel je ne saisis pas où est le filet de sécurité. Ces jeunes sont livrés à eux-mêmes, et se plaignent de ne pas avoir accès aux soins. Là, il n’y a pas assez de personnel pour assurer un vrai suivi socio-éducatif et administratif ». Et de rappeler que dans une structure lambda de la protection de l’enfance, le prix de journée est de 240 € par jour, remboursés par l’Etat.

Accusée de diffamation

Le lundi 8 janvier au matin, elle assiste à une réunion de travail réunissant l’ensemble des élus de la délégation unique du personnel, lors de laquelle elle interpelle ses collègues sur ce qui se passe au SAMIE. C’est l’après-midi, qu’elle apprend par la presse le décès de Denko Sissoko . Les services départementaux avaient des suspicions sur l’âge (16 ans) qu’il avait donné. Une procédure de vérification de ses papiers était en cours. Selon les compagnons de foyer de Denko Sissoko, c’est l’arrivée de la police au foyer qui l’aurait poussé à se jeter par la fenêtre. Choquée par la nouvelle de la mort du jeune homme, Ibtissam Bouchaara décide d’alerter le Défenseur des droits, qui se saisit de l’affaire, sur les conditions d’accueil et de suivi des jeunes pris en charge par le SAMIE. Lors de la marche blanche qui réunit deux cent personnes à Châlons-en-Champagne le mercredi 11 janvier en hommage au jeune homme né le 2 mars en 2000 au Mali, elle répond à des questions de la presse qui, bien entendu, s’est rendue sur place. C’est à partir de là que les choses s’emballent. Le samedi, elle reçoit une lettre datée du 13 janvier, deux jours après la marche blanche, la convoquant à un entretien pour une sanction disciplinaire. Le lundi 18 janvier, nouveau courrier, pour lui annoncer un rendez-vous lundi 30 janvier, en vue, cette fois, d’une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement. Dans le même temps, la direction de l’association distribue à ses 174 collègues un courrier dans laquelle l’éducatrice, qui n’est pas nommée, se voit reprocher des « déclarations intempestives et diffamatoires ». La lettre, affichée dans les locaux, l’accuse de « récupération et d’instrumentalisation politique ».

Le Défenseur des droits alerté

Ibtissam Bouchaara bénéficie pourtant de la protection spécifique offerte aux délégués du personnel. Pour la licencier, la direction de la Sauvegarde doit obtenir l’aval de l’inspection du travail, ce qui n’est pas gagné. Mais pour l’éducatrice, qui se bat au nom de valeurs éducatives, pour tous ces « gamins qui ont mal à leur père et à leur mère », la pilule passe mal. "S’ils me virent", déclare-t-elle, "je partirai la tête haute". Elle rappelle que l’article 40 du Code de procédure pénal fait obligation à « toute autorité constituée, tout officier public qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit […] d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ». Or, pour cette éducatrice expérimentée, il ne fait aucun doute que les conditions d’accueil et de suivi réservés aux mineurs isolés dans son département les mettent en danger. Pire, selon elle, « malgré le décès de Denko Sissoko, rien n’a changé ».

Une précédente tentative de défénestration

La défenestration du jeune Malien n’était pas la première, comme l’explique un article du Bondy Blog . N’fah Sakia, jeune guinéen arrivé en France en novembre, raconte que la police est venue le chercher au foyer Bellevue à 6h du matin. Pris de panique, il saute de la fenêtre de sa chambre, au deuxième étage. Indemne physiquement mais choqué, il passe la nuit à l’hôpital, avant d’être viré dès le lendemain et prié d’appeler le 115. « Ce gamin c’était un trésor, intelligent, drôle, toujours le nez fourré dans les bouquins », se souvient Marie-Pierre Barrière, avant de rappeler qu’en Europe 10 000 enfants migrants ont officiellement disparu des radars

Une lettre ouverte restée sans réponse

La militante de l’antenne Champenoise du Réseau éducation sans frontière dénonce l’inhumanité du traitement réservé aux mineurs étrangers, qui provoque des morts, et des dispositifs qui ne sont pas financés. « Par principe, ces jeunes sont considérés comme des menteurs, alors qu’ils ont d’abord besoin d’être protégés ». Marie-Pierre Barrière rappelle que « la phase d’évaluation [à laquelle ils sont soumis pour vérifier leur minorité ndlr] dure de deux à huit mois. On leur fait raconter leur histoire plusieurs fois pour traquer les incohérences, on envoie leurs papiers pour vérification à la Police de l’air et des frontières, sachant qu’ils viennent de pays où l’Etat civil est assez aléatoire, et on les soumet même à des tests osseux, qui ne sont pas reconnus comme fiables, parce que comment vous faites la différence entre un jeune de 17 ans et un de 19 ans ? » Après le décès de leur ami, les jeunes du foyer Bellevue ont envoyé une lettre à Manon Doublet, la responsable du SAMIE, dans laquelle ils affirment qu’ils sont « traités comme des animaux » et où ils racontent qu’ils sont soumis à des tests sanguins. Isabelle Debailleul, la responsable du service Solidarité de la Marne, dément. Mais personne n’a voulu répondre à nos questions au sein du conseil départemental, ni au sein de l’association La Sauvegarde. Et la lettre des jeunes du foyer Bellevue est restée sans réponse. »

Voir en ligne : http://www.nuitetjour.xyz/articles-...