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Suisse - Voyage d’hiver à Côme

Publié le 19-01-2017

Source : www.gauchebdo.ch

« ASILEA Côme, à la frontière italo-suisse, des centaines de requérants d’asile se retrouvent dans un « camp militarisé », qu’avocats, journalistes ou ONG n’ont pas la possibilité de visiter. Alors que le battage médiatique de l’été 2016 est retombé, la Suisse continue à refouler les migrants, y compris des mineurs non-accompagnés. Reportage (par Sandra Modica et Michael Rössler, du Forum civique européen, paru dans Archipel).

Côme est une ville située à la frontière sud de la Suisse, après Chiasso. Elle représente un passage obligé pour de nombreuses personnes qui veulent demander l’asile en Suisse et surtout dans un pays du nord de l’Europe. Elle a été fortement médiatisée l’été dernier, quand des centaines de personnes sont arrivées et ont dû s’établir dans le parc et la gare de la ville, suite à leur refoulement par les autorités suisses.

Un arrangement semble avoir existé jusqu’à début juillet entre les douaniers suisses et italiens : tous les 15 jours, la Suisse laissait entrer 100 personnes. Mais du jour au lendemain, début juillet, au moment de la plus forte affluence de requérants d’asile, la Suisse a verrouillé sa frontière au sud des Alpes.

Un camp de transit à l’abri des regards

Depuis le mois d’août, les renvois vers l’Italie sont systématiques. A Chiasso, les autorités suisses n’entrent plus en matière sur des demandes d’asile, même s’il s’agit de mineurs et même s’ils ont de la famille en Suisse. Amnesty international dénonce : « Une pratique de renvois systématiques n’est pas conciliable avec la prise en compte de la vulnérabilité particulière d’un enfant requérant d’asile. » Des bénévoles tessinois de l’association Firdaus de la députée socialiste Lisa Bosia organisaient des repas pour venir en aide aux personnes.

Fin août, on leur a interdit de poursuivre leur action. Le mandat a été donné à la Croix-Rouge et à Caritas de prendre en charge les personnes dans un camp de transit. Les campements dans la gare et le parc ont été également bannis. Une camionnette de la police veille désormais à ce que plus personne ne s’y installe. Des jeunes manifestants italiens ont reçu un « Foglio di via », une sorte d’obligation d’éloignement des lieux avec interdiction d’y revenir. Depuis, les médias ne s’intéressent plus à ce qui se passe à Côme, donnant l’illusion que tout a été réglé. La réalité est pourtant grave.

Le camp de transit ouvert en septembre 2016 accueille 300 à 350 personnes, dont plus de 200 RMNA (réfugiés mineurs non-accompagnés) qui n’ont pas encore déposé une demande d’asile en Italie et qui n’ont pas encore été réorientés vers un foyer (mais dont les empreintes digitales ont été prises lors de leur arrivée en Italie).

Ils dorment à huit dans des containers de 15m2. S’ils ne rentrent pas dormir pendant une nuit, ils perdent leur place. Géré par la Croix-Rouge, le camp est soumis à un contrôle strict. Don Giusto, prêtre de la paroisse San Martino Rebbio à Côme, parle de camp militarisé. Les autorisations d’accès pour des tiers sont délivrées au compte-gouttes, selon le bon vouloir du préfet. Les avocats, les journalistes ou les ONG n’ont pas la possibilité de le visiter, d’y rencontrer les jeunes et de les renseigner sur leurs droits.

Même Médecins sans Frontières doit systématiquement redemander la permission pour y accéder. En visite dans le camp, le directeur de Caritas de Côme y avait distribué des flyers informant les jeunes de l’ouverture d’un espace en ville où ils peuvent se rendre pour boire du thé. Depuis, l’autorisation d’entrée ne lui a plus été renouvelée. Tout semble être mis en œuvre pour isoler les jeunes et pour rendre leur séjour pénible afin de les inciter à disparaître.

Solidarité d’urgence

Les 300 places du camp de la Croix-Rouge ne suffisent pas à accueillir tous les réfugiés en transit. Entre 50 et 100 personnes restent dehors, aussi des mineurs. Une quinzaine de bénévoles sillonnent la ville chaque nuit pour les chercher et les amener à la salle paroissiale où ils peuvent dormir, manger et boire du thé chaud. Mais tout le monde ne sait pas qu’il y a cette possibilité. Il y a peu, un jeune Somalien a dormi dans la rue et au matin il a dû être hospitalisé, en état d’hypothermie.

Depuis 5 ans, Don Giusto, avec son initiative Progetto Accoglienza Rebbio, accueille tout le monde avec humanité. Pendant la journée, un repas est distribué à 12h30 mais le reste du temps les salles doivent rester libres pour les activités locales. Don Giusto peut compter sur de nombreux bénévoles qui informent les jeunes de leurs droits, organisent des cours d’italien, sillonnent les rues la nuit ou font à manger.

Mais l’engagement de Don Giusto n’est pas apprécié par tout le monde. Sur les 338 paroisses existantes à Côme, seule 15 accueillent des réfugiés. L’évêque Oscar Cantoni, nommé il y a un mois, reste discret. De nombreux fidèles sont opposés à l’accueil des requérants. Ils ne veulent plus envoyer leurs enfants aux activités et se sentent délaissés par le prêtre. Les autorités communales surveillent son travail. La police locale passe souvent et les tracasseries administratives sont fréquentes.

Un commerce d’organes ?

La nationalité des jeunes change selon les mois d’arrivée : surtout Erythréens et Ethiopiens, mais aussi Syriens, Irakiens et Afghans cet été, Guinéens, Nigériens mais aussi une vingtaine de Palestiniens, en novembre. La plupart ont traversé la Méditerranée dans des conditions effroyables, ont subi des vols, des tortures ou des viols.

Beaucoup ont été témoins de violences inouïes. Pietro Bartolo, médecin à Lampedusa, constate une augmentation préoccupante de cicatrices suspectes, laissant croire au développement d’un commerce d’organes entre l’Afrique et les pays occidentaux, dont seraient victimes ces migrants. La situation des femmes est particulièrement préoccupante. En Libye, les viols collectifs de femmes subsahariennes semblent être systématiques. Beaucoup se retrouvent enceintes, certaines sont victimes de traite, d’autres auraient été vendues par leur famille.

Dans les camps d’accueil en Italie du Sud, il n’y a pas longtemps, les réfugiés pouvaient encore continuer leur voyage sans laisser leurs empreintes digitales. Mais l’Italie a dû changer cette pratique, sous la pression des pays du Nord. Maintenant, les réfugiés doivent donner leurs empreintes à leur arrivée. S’ils refusent, on les force souvent en les torturant, comme Amnesty International l’a prouvé récemment dans un rapport.

Tous ceux qui ont vécu des telles horreurs ou même seulement un petit pourcentage de ces supplices ne pensent pas à un retour. Selon Don Giusto, tous devraient recevoir un statut humanitaire. Les capacités devraient être élargies et des communautés d’accueil pour les mineurs instaurés.

Il faut insister auprès des douaniers

La plupart veulent rejoindre l’Allemagne, l’Angleterre, parfois la France. Certains veulent venir en Suisse. Beaucoup ont des membres de leur famille dans un de ces pays. Au nom de l’Accord de Dublin, la Suisse refuse systématiquement de laisser entrer les personnes qui ont transité par l’Italie ou les renvoie dans ce pays si elle les intercepte à l’intérieur du territoire. Sur 2500 « renvois Dublin » de pays ouest-européens vers l’Italie réalisés en 2016, 50% se font depuis la Suisse. Et cela même pour les mineurs non accompagnés, ce qui constitue une grave violation de la Convention internationale des droits de l’enfant et même de l’Accord de Dublin III pour ceux qui ont de la famille en Suisse.

L’ONG tessinoise Posti liberi se bat pour permettre le regroupement familial aux RMNA qui séjournent à Côme. Depuis l’été dernier, elle a réussi à faire accepter 20 demandes à la Suisse. Le travail de constitution des dossiers est considérable (et entièrement bénévole), les chicanes bureaucratiques infinies. Il faut arriver à prouver l’identité du RMNA, le lien familial avec les personnes établies en Suisse, l’identité de ces personnes, etc. Et cela souvent en l’absence de documents officiels (acte de naissance, livret de famille, …). Les tests ADN sont trop chers.

Le récit de ces petites victoires est saisissant. Il y a quelques semaines, Désirée, le bras droit de Don Giusto, a accompagné à la douane dix jeunes dont le dossier était prêt. Des avocats de Posti liberi les attendaient du côté suisse. Les jeunes ont alors dû dire en italien « Je veux déposer une demande d’asile en Suisse ». S’ils n’avaient pas formulé la demande en italien ou s’ils n’avaient pas dit « en Suisse », les douaniers ne les auraient pas écoutés. Entourée par dix policiers menaçants, Désirée leur répétait sans cesse que l’avocat des jeunes était juste derrière eux en Suisse, de laisser entrer les jeunes, qu’ils avaient les preuves d’avoir de la famille dans le pays et que donc, selon Dublin III, ils avaient le droit au respect de l’unité familiale, etc.

Face à sa détermination et à la présence des avocats, les douaniers ont cédé. Mais les RMNA seuls n’auraient pas réussi. Tous avaient d’ailleurs déjà essayé à plusieurs reprises d’entrer en Suisse. Désirée raconte être retournée une heure plus tard avec un autre RMNA qui se trouvait dans la même situation que les dix précédents. Il a demandé « Voglio chiedere asilo politico ». Les douaniers ne l’ont pas laissé entrer. Il avait oublié de spécifier le pays dans lequel il voulait demander l’asile, la Suisse… Le jeune et Désirée ont mis encore quelques jours pour arriver à faire accepter sa demande d’asile aux autorités suisses.

Un marché pour la mafia

La très grande majorité des requérants d’asile n’arrive pas à entrer en Suisse. Ils quittent alors le camp de transit, pour aller soit dans un centre d’accueil de requérants d’asile soit dans un centre d’accueil extraordinaire (école vide aménagée, hôtel, etc.). Dans les deux cas ils doivent demander l’asile en Italie.

L’Etat verse 45 euros par jour et par requérants aux organisations qui gèrent ces structures d’accueil. Un nouveau marché s’est ouvert dans ce domaine. La mafia y gagne des millions en ouvrant des structures pour plusieurs centaines de personnes un peu partout dans le pays. La qualité de l’accueil ne fait l’objet d’aucune surveillance. Des personnes vivent ainsi avec un seul repas par jour, dormant sur des matelas pourris quand il y en a.

Face à cette situation désastreuse, il y a quand même quelques lueurs d’espoir. A Côme existe un Osservatorio legale avec vingt avocats qui s’occupent gratuitement des migrants. Ils coopèrent avec les juristes de Posti liberi en Suisse. A Côme également, une rencontre régulière a lieu entre les représentants des œuvres d’entraide, des ONG, de la commune et de l’église. Mais dans ce cas-là, une coordination avec la Suisse n’existe pas.

Après la présence énorme des médias suisses en ’été 2016, maintenant, en hiver, le silence s’est instauré. Pourtant, il serait important de continuer de parler et d’écrire. Toute personne peut aussi se rendre utile en rendant visite et en soutenant les projets sur place. »

Voir en ligne : http://www.gauchebdo.ch/2017/01/19/...