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N’oublions pas les enfants toujours bloqués après la démolition de la « jungle » de Calais

Publié le 9-01-2017

Source : www.hrw.org

Auteur : Daniil Ukhorskiy

« Les enfants du camp de Calais qui n’ont pas été admis au Royaume-Unis sont dispersés dans toute la France, certains dans les centres officiels, d’autres dans les rues. Daniil Ukhorskiy, un stagiaire de Human Rights Watch âgé de 17 ans, décrit le sort des jeunes qu’il a rencontrés lors des derniers jours du camp.

Les nouvelles récentes selon lesquelles le Home Office britannique n’accepterait plus de nouveau mineur non accompagné de l’ancien camp de la « jungle » de Calais ne peuvent qu’être ressenties comme une trahison par les nombreux adolescents qui attendent avec impatience une réponse sur leur demande de transfert vers ce pays.

Ces jeunes gens doivent se demander s’ils ont fait le bon choix en acceptant de quitter le camp de Calais pour être relocalisés. Alors qu’ils étaient nombreux à espérer une nouvelle vie de l’autre côté de la Manche, où beaucoup d’entre eux ont de la famille, ils ont été déplacés vers d’autres centres dans toute la France. Sans doute pensent-ils maintenant qu’il aurait été préférable pour eux que le camp n’ait jamais été fermé.

J’ai visité le camp des migrants de Calais pendant le week-end qui a précédé sa démolition et je peux comprendre qu’ils aient des sentiments mitigés vis-à-vis de leur départ. Aussi choqué que j’aie pu être en découvrant ce bidonville installé à quelques kilomètres d’une ville européenne moderne, j’ai pu constater sur place l’existence d’une communauté dynamique, créée par les migrants qui y vivaient et par les nombreux bénévoles dévoués qui ont mis leur vie entre parenthèses, animés d’un sentiment commun d’humanité.

Parmi les exemples de solidarité sociale mise en place à Calais, il y avait le Kids’ Cafe – le Café des Enfants –, où dans les odeurs de cuisine épicée, les basses de la musique de Bollywood faisaient vibrer les murs, se mélangeant aux conversations tenues dans un mélange de pachtoune, tigrigna et autres langues.

Dans la salle, les jeunes visages fixaient l’écran du téléviseur ou leurs téléphones. Dans cet espace de 20 mètres carrés, construit en contreplaqué et recouvert d’une bâche, on offrait des repas et des loisirs gratuits aux quelques 1 300 adolescents qui vivaient seuls dans le camp. Plus important encore peut-être était le sentiment d’appartenance que l’endroit procurait à ces jeunes gens lestés par la solitude de leurs voyages. Beaucoup avaient voyagé seuls jusqu’à Calais et méritent, en tant que mineurs non accompagnés, la protection des États qui les reçoivent.

Les murs étaient décorés d’un mélange éclectique de bannières dessinées à la main, avec des messages en arabe et en anglais sommaire, d’une affiche représentant les bus londoniens emblématiques à deux étages, et d’une grande variété de peintures réalisées par des enfants migrants de tous âges. À l’avant de la salle, un bar proposait un peu de tout, des biscuits et du thé, mais aussi du curry de pois chiches au riz – tout cela servi par les résidents et les travailleurs humanitaires.

Dehors, la bruine s’est transformée en averse et, quand la chaîne hi-fi offrait un peu de silence, on entendait de grosses gouttes de pluie tomber sur le toit en toile. Très vite, l’endroit s’est rempli d’adolescents venus s’y abriter.

Au centre de la salle, un billard en mauvais état était entouré de garçons afghans vêtus de vestes déchirées et de chaussures qui allaient de lourdes bottes à de simples tongs. Faute de triangle pour rassembler les boules, le plus âgés des joueurs les a regroupées avec ses bras et les arrangeait avec soin. Bientôt, le jeu commença tandis qu’autour de la table on jouait autant qu’on discutait, et que les bras s’agitaient au même titre que les queues de billard.

Il y avait dans l’air beaucoup de tension et d’anxiété. La plupart des autres garçons du café étaient silencieux, les yeux éteints, assis dans des canapés, occupés à regarder leurs téléphones. J’essayais de me mettre à leur place, et m’imaginai assis seul dans un coin de ce café, apatride et sans-abri, ne pouvant compter pour ma survie que sur la gentillesse des autres, tout en sachant que bientôt, le Kids’ Cafe pourrait disparaître à jamais.

Un garçon à l’air timide accepta de me parler de sa vie dans le camp. Vêtu d’une veste en faux cuir, d’un jean et d’une vieille paire de baskets, sa lèvre supérieure surmontée d’une moustache clairsemée, « Aman » me dit qu’il avait 15 ans, qu’il venait d’Érythrée et qu’il était arrivé à Calais après un périlleux voyage à travers l’Italie et la France. Il a fui le régime répressif de son pays, connu pour recruter de jeunes garçons pour un service militaire illimité. Il parlait couramment l’anglais, quoique avec un fort accent.

Comme pour la plupart des mineurs du camp, il rêvait d’aller au Royaume Uni, même si contrairement à bon nombre d’entre eux, il n’a pas de famille sur place. Quand je lui ai demandé s’il envisageait de rester en France, il secoua la tête d’un air sombre. « La police est trop dure ici », m’expliqua-t-il, ajoutant que les forces de l’ordre avaient blessé certains enfants avec des gaz lacrymogènes et d’autres moyens de répression.

Tous les soirs, il se rendait au port, à deux heures et demie de marche du camp, dans l’espoir d’attraper un train qui ralentirait suffisamment pour qu’il puisse embarquer et passer ainsi clandestinement en Grande-Bretagne. Il a été arrêté à maintes reprises. La police, me raconta-t-il, appréhendait tout le groupe et le maintenait en garde à vue pendant 16 heures avant de le relâcher.

La persévérance d’Aman témoigne d’une immense force et d’une remarquable ténacité dans sa poursuite d’une vie plus digne. Ayant entrepris le dangereux voyage depuis l’Érythrée, sa destination finale était à portée de main. Les falaises de Douvres le narguaient, visibles sur l’autre rive, quand il faisait beau.

Dans le camp, il partageait une tente rapiécée avec trois autres personnes, et la nuit ils dormaient ensemble serrés comme des sardines. Il avait pleinement conscience que son domicile improvisé pouvait être détruit à tout instant. Mais il avait du mal à imaginer que le camp, qui ressemblait presque à une ville, avec des rangées de boutiques et de restaurants, disparaîtrait tout simplement du jour au lendemain.

« [Aller au] port, manger, dormir. C’est ça ma vie », me confia-t-il avant de me serrer la main avec un sourire timide et de disparaître à l’autre bout du café.

Il est difficile de savoir ce que l’avenir réserve à Aman. Les dispositions de l’U.E. relatives au regroupement familial le rendaient inadmissible au Royaume-Uni et Aman est trop âgé pour y être transféré en vertu des règles du Home Office sur les transferts humanitaires prévus par l’une des dispositions de la loi sur l’immigration, appelée « amendement Dubs ».

Sa seule perspective réelle est de rester en France. Mais les affrontements répétés avec la police ont rendu Aman et les autres enfants méfiants à l’égard des autorités françaises. Plus de 1 500 mineurs non accompagnés ont été transférés dans des centres répartis à travers tout le pays, pendant et immédiatement après la démolition du camp, mais ceux qui se trouvent dans ces nouveaux centres ont désespérément besoin d’informations sur leur avenir immédiat. Certains de ces enfants ont depuis décidé ce partir pour tenter de s’en sortir par eux-mêmes. Un nombre indéterminé d’entre eux ont trouvé refuge dans des camps informels de plus petite taille qui ne disposent pas des infrastructures et des soutiens qui étaient disponibles à Calais. D’autres tentent leur chance dans les rues de Paris.

Maintenant que la cicatrice de Calais a été effacée et que l’attention des médias français et internationaux s’est détournée, le monde est en passe d’oublier les centaines d’enfants migrants désormais dispersés dans toute la France. Le Royaume-Uni doit agir rapidement pour accepter les enfants et leurs familles, en utilisant aussi largement que possible « l’amendement Dubs ». Pour leur part, les autorités françaises devraient rapidement donner aux enfants dont elles ont la charge toute l’information et le soutien dont ils ont besoin pour faire leurs demandes d’asile en France.

Si ces deux pays ne prennent pas ces mesures d’urgence, nombreux seront ces enfants – peut-être la majorité d’entre eux – pour qui la démolition de la jungle pourrait n’être qu’un pas en avant, pour deux pas en arrière. »

Voir en ligne : https://www.hrw.org/fr/news/2017/01...