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Suisse - « J’ai laissé mes frères là-bas mais j’en ai trouvé d’autres »

Publié le 5-01-2017

Source : www.24heures.ch

Auteur : Stéphanie Arboit

« Asile - Des familles viennent en aide à des migrants mineurs vivant sans leurs parents en Suisse. Elles disent y gagner énormément en retour. Reportage chez deux d’entre elles.

En cette matinée de décembre, un brouillard glacial recouvre la campagne environnante. Mais, dans la maison des Theeten-Geerts, à Penthalaz, la chaleur domine près du sapin de Noël. Là, sur le canapé, un jeune homme longiligne à la peau foncée caresse la tête d’un chérubin blond posée sur ses genoux. Ses yeux bienveillants rehaussés d’épais sourcils contemplent le visage de l’enfant. Un regard et des gestes de tendresse qui ne trompent pas : ces deux-là se sont liés d’affection.

Pourtant, tout semblerait de prime abord séparer Ludo, ses yeux bleus et ses 8 ans, de Yunis, tout juste 17 ans, qui a fui Mandera, ville à cheval entre le Kenya, la Somalie et l’Ethiopie. Depuis fin 2011, le Kenya est entré en guerre contre le groupe terroriste islamiste Al-Shabbaab (responsable notamment de l’attentat du centre commercial à Nairobi en 2013). Mais, des problèmes géopolitiques de cette région, Ludo est heureusement insouciant. Un jour – peut-être – saura-t-il quelque chose des raisons qui ont poussé Yunis à passer deux ans sur les routes de l’exil. Pour l’heure, tout ce qu’il sait et qui compte, c’est que, depuis le mois d’août, Yunis vient toutes les deux semaines en moyenne jouer avec lui et ses deux frères.

Prise de conscience

Requérant d’asile mineur non accompagné, Yunis bénéficie en effet de l’Action Parrainages (lire ci-contre). C’est dans ce cadre que les Theeten-Geerts l’accueillent. Avec une conviction : certes, ils viennent en aide à Yunis, mais Yunis leur apporte beaucoup aussi. Découverte de l’altérité. « J’ai appris qu’on peut avoir de si longues jambes ! » admire Ludo. Qui confesse : « J’ai eu peur lorsque Yunis nous a raconté qu’il a été emprisonné à un moment de son voyage. Est-ce que cela voulait dire qu’il était méchant ? » Ludo découvre que le monde n’est pas manichéen et que les « gentils » peuvent aussi subir des traitements normalement réservés aux « méchants » sur les routes de l’exil. Prise de conscience de l’injustice.

Les trois garçons Theeten-Geerts ont de nombreux points communs sportifs avec Yunis. Foot, basket, mais aussi piscine ou patinage dans le village. « La première fois sur des patins à glace, c’était bizarre, raconte Yunis : on ne peut ni marcher ni rester debout, car on glisse. Mais c’est trop chouette ! » L’échange se joue aussi sur le terrain scolaire. « Je lui ai expliqué la géométrie. En même temps, ça me permet de réviser ce que j’ai appris », sourit l’aîné, Nils, 12 ans, des éclats de fierté dans les yeux.

Pour Nils, Yunis est un « grand frère » : « Avec mes deux petits frères, je suis toujours le plus fort. C’est plus chouette pour moi de jouer avec Yunis, qui est plus grand. Ça me change ! » « A la course des Pères Noël à Lausanne (ndlr : la Christmas Midnight Run), ma femme était distancée. Yunis tenait la main de Lars – le cadet de 6 ans – et avait toujours un œil sur les autres de peur de les perdre », dit le papa, Kris. « De même à la piscine, il m’aide, surtout quand Lars part dans tous les sens, souligne Natalie, la maman. On ne veut pas lui poser de questions sur son passé, mais on voit bien qu’il a des réactions de grand frère. » « J’ai laissé les miens, mais j’en ai trouvé d’autres », sourit Yunis, alors que Lars lui grimpe dessus.

Chez les Vial, à Lausanne, la présence d’un mineur non accompagné a également redistribué l’équilibre de la famille. Timéo, 11 ans, et Colin, 9 ans, font preuve d’une grande maturité en décrivant leur relation avec Abed, 14 ans, Afghan réfugié dans un premier temps en Iran, qui vient chez les Vial en moyenne deux fois par semaine depuis deux mois, mais absent ce jour-là.

« Quand il est là, on s’éclate »

« Depuis qu’il est là, on fait moins de bêtises », affirme Timéo. Zoé, 7 ans, explique : au lieu que le grand se chamaille avec les deux cadets, « on joue à deux et deux ou tous les quatre ». « Ce n’est ni un frère ni un copain : je n’ai pas les mots, mais c’est exceptionnel », lâche Colin. « Quand il est là, je ne vois pas le temps passer, embraie Timéo. J’ai besoin de lui pour vivre parce que, quand on se voit, on s’éclate. C’est bien que ce ne soit pas tout le temps, sinon ce serait peut-être moins précieux. »

Les enfants sont fiers de ce qu’ils ont appris : « En Iran, ce n’est pas la même année qu’ici ! Il mange piquant et, en farsi, il écrit de droite à gauche ! Mais en Iran des enfants ne peuvent pas aller à l’école suivant leur origine. Ça fait mal au cœur et c’est du grand n’importe quoi ! »

Foot, basket, trampoline, les activités ne sont pas exclusivement sportives. « Abed dessine super bien et j’apprends en le regardant car je suis en train de créer une BD », explique Colin. « On prend plus de temps pour faire des jeux de société en famille, constate Carole, la maman. On partage du quotidien, sans créer de l’événementiel quand il vient : ce ne serait juste ni pour lui ni pour nos enfants. »

« On ne sera jamais ses parents, souligne Guillaume, le père. On veut juste qu’il puisse avoir un avenir et une formation, d’autant qu’il aime apprendre. Accueillir un enfant ainsi n’est pas surnaturel : c’est juste partager des moments de vie. » Par exemple se retrouver au Nouvel-An, pour monter comme tant d’autres familles à la Cité et voir ensemble la cathédrale s’embraser. »

Voir en ligne : http://www.24heures.ch/vaud-regions...