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Après Calais, les migrants mineurs rêvent toujours du Royaume-Uni

Publié le 28-12-2016

Source : www.lexpress.fr

Auteur  : Iris Péron

« Mi-décembre, Londres a fermé ses portes à plus de 1200 mineurs isolés, accueillis en France. Amers mais combatifs, en Bretagne, les accompagnateurs de ces migrants ont décidé de ne pas baisser les bras. Reportage.

"Il y a eu un avant et un après 19 décembre." Il y a une semaine, les migrants mineurs isolés hébergés dans le centre d’accueil et d’orientation (CAO) de Clohars-Carnoët (Finistère) ont vu s’effriter leurs espoirs de rejoindre le Royaume-Uni. Deux mois après le démantèlement de la "Jungle" de Calais, le Home office, le ministère de l’Immigration britannique, a notifié à ces 19 Soudanais originaires du Darfour son refus de les prendre en charge.

Attablé devant une table de la salle à manger de l’un des 66 CAO qui hébergent les migrants annoncés comme mineurs, Stann Rigau, le directeur du lieu -un centre de vacances du CCAS (Caisse centrale des activités sociales des énergies, pour EDF et GDF notamment)- est amer. Mais pas résigné. "Le Home office et l’Etat manquent de transparence sur les critères des dossiers, regrette-t-il. Depuis l’arrivée de ces jeunes, cela a été une très longue attente. Au moins, avec ces refus, la situation est claire. On va pouvoir commencer à se battre pour eux."

Six migrants ont quitté délibérément le centre

Discrètement mais sûrement, à la mi-décembre, le Royaume-Uni a fermé ses portes aux mineurs isolés. Une initiative, qui désole les autorités françaises. Selon l’association France Terre d’Asile, 90% des 1291 migrants qui se sont déclarés mineurs lors de l’évacuation de Calais ont fait part de leur souhait de rejoindre le Royaume-Uni. Seuls 500 à 750 ont été acceptés par le pays, qui avait pourtant promis le transfert de tous ceux qui auraient de la famille sur place.

A Clohars-Carnoët, seuls 12 des 35 migrants qui ont rejoint le centre ont été acceptés outre-manche. Ils sont 45 sur les 118 accueillis dans les trois CAO de Bretagne. Pour certains, restés en contact avec les cinq accompagnants pédagogiques, la situation est rassurante. "Il y en a un qui a déjà eu des papiers, un autre a trouvé un appartement", relate avec le sourire Laure, une éducatrice spécialisée, recrutée in extremis fin octobre pour prendre en charge les mineurs dans la commune. Pour ceux qui restent, la situation est douloureuse. Depuis mi-novembre, six Soudanais ont quitté le centre, dont deux dimanche, quelques jours après le refus de leur dossier, pour tenter de rejoindre par leurs propres moyens le Royaume-Uni. Un seul des six y est parvenu. Les autres "doivent être au camp de la Chapelle, ou à Calais", imagine Stann Rigau.

"Un processus de deuil"

La situation aurait pu être pire. Lorsque la préfecture du Finistère, leur a annoncé, par la voix d’un interprète, que leurs dossiers n’avaient pas été acceptés, la première réaction de ces jeunes a été l’incompréhension. Puis, très vite, l’envie de rejoindre les cotes britanniques s’est faite viscérale. "Demain, on s’en va !", ont-ils unanimement annoncé aux éducateurs, dans un mélange d’anglais et d’arabe. Après des échanges avec l’équipe, tous ont finalement choisi de demander le réexamen de leur dossier. "Ils ont fait face à la perte d’un projet de vie, il faut en passer par un processus de deuil", analyse Laure, l’éducatrice.

Assis à côté d’elle, dans la salle à manger vidée de ses occupants, partis jouer au football dans la salle de la commune, le directeur du centre déplore des manquements. "Les réponses ont été très arbitraires. Certains schémas familiaux ont étonnamment été jugés moins recevables que d’autres." Stann Rigau cite l’exemple de deux cousins, l’un a été accepté au Royaume-Uni, l’autre non, alors que son frère y travaille.

La barrière de la langue

"Le Home office s’était engagé à motiver tous les refus, mais dans certains dossiers, il était juste noté ’liens familiaux’ ou ’plus de 18 ans’", observe le directeur. Effectivement, selon le président de France Terre d’asile, tous ne seraient pas mineurs. Face à des réponses aussi laconiques, difficile d’expliquer la situation aux intéressés. Conséquence : depuis quelques jours, une certaine défiance s’est installée vis-à-vis du personnel. "Ils nous prêtent des casquettes que nous n’avons pas et pensaient qu’on sélectionnait nous-mêmes les dossiers. Ils ne savent plus en qui avoir confiance...", regrettent les éducateurs.

Mus par cette circonspection, aucun des migrants ne souhaite parler aux médias et la simple vue d’un appareil photo a conduit certains d’entre eux à considérer celui qui le détenait comme un potentiel informateur du Home office. La barrière de la langue n’aide pas à désamorcer la situation. Si un cuisinier arabophone aide lorsqu’il le peut à simplifier le dialogue, souvent, migrants et personnel communiquent dans un anglais approximatif, par des attitudes ou utilisent le traducteur de leur téléphone.

"Humaniser" leurs dossiers

"Il ne faut pas se résigner, ce ne serait pas juste pour eux. Ces jeunes arrivent avec les difficultés liées à leur vécu et notre mission c’est de leur permettre d’accéder à leur projet de vie qui consiste à aller au Royaume-Uni", martèle Stann Rigau. "On sait qu’il y en a qui se sont pris des balles, on a vu leurs cicatrices. Certains nous ont raconté que lors de leur passage en Libye, ils ont été emprisonnés ou menottés et jetés à l’eau", détaille Laure. Si l’idée d’exercer une grève de la faim a été "soufflée" selon eux aux migrants d’un centre du Tarn-et-Garonne, ici, la volonté de se battre a pris le dessus.

Avec leurs collègues, Stann et Laure ont décidé de permettre à ces jeunes "d’humaniser" leur candidature, avant le réexamen par Londres. Le premier dossier n’était qu’une accumulation de chiffres et de dates. Cette fois, les migrants de Clohars-Carnoët se sont vu proposer d’y ajouter des photos de famille, pour "toucher l’être humain qui examinera ce dossier", même si "c’est peut-être utopique". Le formulaire créé par l’équipe a été traduit en arabe, pour que les Soudanais le remplissent eux-mêmes. "S’ils arrivent au Royaume-Uni, il faut qu’ils comprennent que rien ne leur sera dû", explique Laure.

"Mais nous avons un ennemi, c’est le temps", résume de son côté le directeur. La convention entre l’Etat et ce centre de vacances est supposée prendre fin le 31 janvier. Et la question de l’"après" est dans tous les esprits. "On sait pertinemment que s’ils sont de nouveau refusés par Londres, ce sera un retour à Calais. Après ce qu’ils ont vécu pour arriver jusqu’en France, ils sont prêts à tout pour réaliser leur projet", s’inquiète le directeur. »

Voir en ligne : http://www.lexpress.fr/actualite/so...