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Roya : désobéissance civile ou carence de l’Etat ?

Publié le 26-11-2016

Source : https://blogs.mediapart.fr

Auteur  : David Nakache

« Le procès de Pierre Alain Mannoni, à Nice, le 23 novembre 2016, à travers et au-delà de Pierre Alain, c’est un procès intenté à l’empathie, à la solidarité et à l’humanisme. En réalité, s’il y a des citoyens désobeisseurs dans les Alpes-Maritimes, c’est avant tout parce que l’Etat et le Conseil Départemental des Alpes-Maritimes n’assument pas leurs obligations légales.

En décembre 2015, le Tribunal de Grande Instance de Grasse rétablissait, de fait, le délit de solidarité pourtant supprimé par la loi de janvier 2014, en condamnant Claire, 72 ans, pour un geste d’humanité (lire ici). Le Parquet de Nice poursuit aujourd’hui Cédric Herrou et Pierre Alain Mannoni pour la même raison.

J’ai rencontré Pierre Alain Mannoni lors de son procès, à Nice, le 23 novembre 2016. Le Procureur de la République a requis à son encontre 6 mois de prison avec sursis. Mais ce procès, à travers et au-delà de Pierre Alain, c’est le procès intenté à l’empathie, l’entraide et l’humanisme.

Car s’il y a des citoyens désobeisseurs dans la vallée de la Roya, c’est avant tout parce que l’Etat et le Conseil Départemental des Alpes-Maritimes n’assument pas leurs obligations légales.

Or qui place aujourd’hui la solidarité sur le banc des accusés ? L’Etat, celui-là même qui ne porte pas assistance à personne en danger et qui vient stigmatiser ceux qui pallient à sa propre incurie.

Les mineurs isolés non pris en charge

Un mineur isolé, c’est-à-dire un enfant ou un adolescent sans parent ni autre représentant légal, qu’il soit étranger ou non, doit être pris en charge par les pouvoirs publics au titre de la protection de l’enfance. Et il a droit à la protection et l’assistance de la France jusqu’à sa majorité.

Ainsi, si des habitants de la Vallée de la Roya, frontalière de l’Italie, doivent porter secours par leurs propres moyens aux mineurs isolés qu’ils voient errer sur les routes de montagne, en hivers, c’est parce que les pouvoirs publics ne jouent pas leur rôle.

J’en appelle donc en premier lieu au nouveau Préfet des Alpes-Maritimes, M. Georges François Leclerc, pour que l’Etat remplisse ses obligations légales et que les Alpes-Maritimes ne restent pas une zone de non droit.

J’en appelle en second lieu à Eric Ciotti, président du Conseil Départemental des Alpes-Maritimes, pour qu’il assume enfin les obligations légales qui incombent à sa collectivité et qu’il ouvre un lieu d’accueil supplémentaire pour mineurs isolés, près de la frontière italienne.

Un nouveau Calais à Vintimille

Concernant les majeurs, si l’on peut tergiverser sur les aspects juridiques, l’analyse de la décision politique est sans appel : le gouvernement français est en train de créer un nouveau Calais à Vintimille. Et la France agit vis-à-vis de l’Italie comme l’Angleterre a agit envers elle.

Combien de morts aura-t-il fallu, de personnes tentant de gagner l’Angleterre et y laissant leurs vies, pour que l’on démantèle enfin la jungle de Calais ? Combien de morts faudra-t-il à Vintimille et dans la Roya ?

Une jeune réfugiée de 17 ans, Mjmelet Berhal, est décédée récemment, renversée par un camion sur l’autoroute en tentant d’atteindre la frontière française. Un migrant est également porté disparu, vraisemblablement emporté par une crue de la Roya. Combien de drames encore avant que les autorités ne se décident à agir ?

J’ajoute que, sur le fond, rien ne justifie le fait d’empêcher des individus de déposer une demande d’asile dans le pays de leur choix et la fermeture de la frontière ne fait qu’enrichir les passeur et alimenter la traite des être humains.

Osons le dire envers et contre l’opinion communément admise : la libre circulation des individus devrait être la règle et constitue la seule solution viable. Il faut ré ouvrir la frontière italienne de toute urgence.

Où s’arrête le devoir de secours ?

Pierre Alain Mannoni a secouru trois jeunes Érythréennes, dont une mineure, qui ont traversé une partie du Sahara, le Soudan, la Libye, la méditerranée, qui sont restées plus ou moins longtemps dans les camps en Italie puis ont passé la frontière italo-française par la montagne.

Face à Pierre Alain, homme sensé et profondément humain, le procureur de la République, Jean-Michel Prètre, a tenté de dissocier le secours, acte noble et non poursuivi, de l’aide à l’hébergement et l’aide à la circulation de personnes en situation irrégulière. Mais le raisonnement du Procureur souffre d’au moins de deux erreurs majeures.

La première est la limite entre le secours, l’hébergement et la circulation : où s’arrête le devoir de secours ? Faut-il, après avoir nourri et soigné une personne nécessitant un secours, la laisser sur le bord d’une route de montagne en hivers et sans moyen ? La remettre aux autorités en sachant qu’elle va être renvoyée en Italie et tentera à nouveau de passer la frontière au risque de sa vie ? Ne vaut-il pas mieux l’aider à rejoindre le reste de sa famille en Allemagne ou en Angleterre où elle demandera l’asile ? Secourir quelqu’un, est-ce vraiment ne voir qu’à court terme sans se soucier de ce qu’il adviendra demain de la personne secourue ? Quand des secouristes aident une personne ils ne vont pas simplement apporter les soins d’urgence, ils vont s’assurer ensuite du devenir de la personne et ne la quittent qu’une fois qu’elle est prise en charge et sécurisée.

La seconde erreur consiste à dire que Pierre Alain Mannoni a aidé à la circulation des personnes en situation irrégulière. Les trois Érythréennes qu’il a aidé ne sont que en situation irrégulière que parce que la France a décidé arbitrairement de fermer sa frontière avec l’Italie et qu’elle refuse de ce fait d’enregistrer leurs demandes d’asile. Un demandeur d’asile n’est en situation irrégulière que si sa demande est étudiée puis rejetée et qu’il reste malgré ce rejet. Mais on n’a même pas permis à ces trois personnes de déposer une demande d’asile en France.

Aider son prochain, tendre la main, secourir des personnes en souffrance, voilà ce que chacun d’entre nous devrait faire. Voilà ce que les pouvoirs publics devraient nous encourager à faire. Et voilà ce dont on accuse Pierre Alain Mannoni qui, par son geste d’humanité, montre l’absence d’humanité de nos dirigeants.

Dans les Alpes-Maritimes, c’est donc bien la faute de l’Etat et du Conseil Départemental qui pousse les citoyens à la désobéissance civile. Mais qu’ils prennent gardent, car nous sommes tous solidaires des citoyens solidaires de la Roya. Et le geste de Claire, de Cédric, de Pierre Alain et de bien d’autres, au fond, c’est notre honneur à tous, et c’est l’honneur de la France. »

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