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Mineurs isolés, en attendant l’Angleterre…

Publié le 24-11-2016

Source : www.la-croix.com

Auteur : Christine Legrand

« Accueillis à Pierreffitte-ès-bois, une quarantaine d’adolescents évacués de Calais attendent avec impatience de pouvoir rejoindre leur famille en Angleterre

L’église, la mairie, l’école, une minuscule épicerie ouverte le matin. C’est dans le petit village de Pierreffite-ès-bois (290 habitants), perdu au milieu des champs, qu’ont été « mis à l’abri » une quarantaine d’adolescents évacués le 2 novembre des conteneurs de Calais et provisoirement hébergés dans le centre de vacances qui jouxte l’église.

37 jeunes Soudanais, un Érythréen, un Tchadien, un Libyen, âgés de 14 à 17 ans, y ont posé leurs bagages, parfois réduits à un sac plastique mais chargés d’une lourde histoire et de leur rêve d’Angleterre, qui ne les a pas quitté. Ils sont arrivés en bus, un peu déboussolés, sans savoir très bien où ils étaient. « Délocalisés » le temps que leurs dossiers soient traités par les autorités britanniques. C’est du moins ce qu’ils ont compris de ce que leur ont dit les représentants du Home Office (ministère de l’intérieur britannique), qui les accompagnaient…

Accueillis par une équipe montée en deux jours

Ils ont été chaleureusement reçus, à leur arrivée, par la maire du village, Ghislaine Beaudet, en dépit de l’hostilité d’une partie de ses administrés. Pour cette femme de 73 ans, « c’était une évidence d’accueillir ces enfants qui ont tant souffert » et qu’elle appelle ses « invités ».

« On a eu 48 heures pour monter une équipe », souligne Raphaël Gonçalves, de l’association giennoise Oxygène, à qui la préfecture a confié, deux jours avant leur arrivée, la responsabilité d’accueillir 105 mineurs de Calais à Pierreffitte et à Cerdon. Dans ce village situé à une vingtaine de kilomètres du premier, un centre de vacances est soudain devenu le plus grand CAOmie (Centre d’accueil et d’orientation pour mineurs isolés étrangers) de France. Pour les encadrer sur les deux sites, il a fallu recruter en urgence 25 professionnels : travailleurs sociaux, éducateurs, traducteurs, veilleurs de nuit arabophones.

« On essaie de leur rendre le quotidien le plus doux possible »

Après de longs mois passés dans la boue de Calais, les adolescents ont pu enfin dormir dans des chambres propres, se laver, se nourrir. Ils ont été rhabillés grâce aux dons de chaussures et de blousons chauds qui ont afflué à la mairie. Même si certains préfèrent garder leur T shirt et leurs tongs. Un bilan de santé a été fait par la Croix-Rouge. Certains ont été hospitalisés à Gien quelques jours mais ont vite regagné le centre, de peur de rater leur départ pour l’Angleterre.

Dans ce lieu, où ils ne sont que de passage, « on essaie de leur rendre le quotidien le plus doux possible », dit Marie-Madeleine Flin, fondatrice d’Oxygène et retraitée, qui est venue à la rescousse pour assurer la gestion administrative du centre. Elle en profite aussi pour les « materner » un peu « car ce sont des enfants, dit-elle, qui ont une histoire de vie dure et compliquée ». Ils l’ont d’ailleurs affublée du petit nom d’« habioba » (grand-mère en Soudanais).

L’association est en train de recruter aussi des bénévoles pour organiser des activités de loisir : sport, musique… Des cours de français ont été mis en place, suivis par un petit groupe, mais la plupart réclament plutôt des cours d’anglais.

Où est la Grande-Bretagne ?

Depuis leur arrivée, il a fallu surtout rassurer ces jeunes, gagner leur confiance. Évacués en urgence une semaine après les adultes, alors qu’ils s’attendaient à passer Outre-Manche, ils n’ont pas compris où on les embarquait. « Ils sont arrivés avec un sourire un peu crispé, précise Audrey Bouteiller, responsable du CAOmie. C’était pour eux un semi-soulagement d’être là ». Leur première question a été : « à combien de temps est-on de Paris ? », puis « Où est la gare ? ». « Car ils veulent tous partir en Angleterre, où ils ont un membre de leur famille. Et ils craignent de ne pas pouvoir y aller ».

Elle tente régulièrement de les apaiser, parfois avec humour. La question « Problem, problem, where is Britannia ? » (Où est la Grande-Bretagne ?), qu’ils répètent à l’envi, est devenue un sujet de plaisanterie. « Les représentants du Home Office sont repassés deux jours après leur arrivée pour leur expliquer qu’ils allaient bientôt revenir leur faire passer des entretiens, explique Raphaël Gonçalvès. Et ils sont attendus par les enfants comme le Messie ». Mais, quinze jours plus tard, ils commencent à s’inquiéter de ne pas les voir revenir.

Les yeux rivés sur leur téléphone portable

En cette matinée pluvieuse de novembre, ils se sont assis dans le réfectoire devant la télévision, ou sont retournés s’allonger dans leur chambre, attendant une éclaircie pour jouer au foot.

Mais ils passent le plus clair de leur temps les yeux rivés sur leur téléphone portable, le rechargeant sur toutes les prises disponibles, guettant les nouvelles de leurs proches sur les réseaux sociaux. La plupart en ont même deux : un smartphone qui constitue pour certains leur seul bagage et le petit téléphone, doté d’une carte pré chargée, que les représentants du Home Office leur ont distribué pour communiquer avec l’Angleterre. Leur impatience monte. Ils commencent à douter. Un petit groupe fait courir le bruit que les autorités britanniques sont passées depuis longtemps dans d’autres CAOmie, que certains de leurs camarades ont déjà rejoint l’Angleterre. Ils ne comprennent pas pourquoi pas eux. La tension est palpable ; l’équipe tente de les apaiser.

Les autorités britanniques sont passées

Mardi 22 novembre, les Anglais sont enfin passés. Ils étaient onze. Des représentants du Home Office, des conseillers juridiques… Ils ont fait passer aux adolescents des entretiens individuels où ils ont dû raconter leur histoire douloureuse, expliquer quel membre de leur famille ils voulaient rejoindre. Ils ont rempli des dossiers, leur ont dit qu’ils devaient « attendre »..

Mais les jeunes en sont sortis soulagés. Leur impatience s’est calmée. Le soir, ils ont fait la fête, se sont mis à danser, à chanter. On a même entendu de grands éclats de rire.

De longs mois d’exil

Rachid (1), 16 ans, reste serein et confiant. Il n’est pas mécontent de se faire dorloter un peu après ses longs mois d’exil. Derrière son sourire et son regard d’enfant, difficile d’imaginer les souffrances qu’il a endurées. Orphelin de la guerre du Darfour, il a fui le Soudan avec un groupe de cinq autres jeunes dont il est le seul survivant. Il raconte leur exil par la Libye, où ils ont été « séquestrés » par des militaires qui ont fait d’eux leurs esclaves : « la journée, on lavait leur linge et leur voiture ; la nuit, ils nous menottaient pour dormir ».

Il raconte ces longues semaines passées dans un hangar avec des centaines de migrants entassés par les passeurs. « Beaucoup de gens y sont morts » en attendant de pouvoir traverser la Méditerranée, assure-t-il. Il raconte ses douze heures passées en mer, dans un canot pneumatique qui s’est dégonflé près des côtes italiennes, ses camarades qui se sont noyés sous ses yeux. Puis son arrivée en Italie, son refuge dans une église de Vintimille pour échapper à la police, le franchissement des Alpes à pieds, les deux semaines où il a dormi sur les trottoirs parisiens, ses trois mois dans la jungle de Calais, sous une tente trouvée dans une poubelle… Rachid veut rejoindre son oncle en Angleterre et il a rempli son dossier. Mais il « aime bien aussi la France et les Français », dit-il, et il se « sent bien ici ».

(1) Le prénom a été changé »

Voir en ligne : http://www.la-croix.com/France/Mine...