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Mineur isolé dans la « jungle » l’Etat condamné

Publié le 27-09-2016

Source : www.liberation.fr

Auteur : Haydée Sabéran

« Face au cas d’un adolescent kurde d’Irak bloqué en France alors qu’il a de la famille au Royaume-Uni, la justice a imposé à l’Etat une amende journalière dans l’attente d’une résolution de la situation.

Ce n’est pas son vrai nom, appelons-le Rebwar. Cet ado de 16 ans, Kurde d’Irak, seul dans le camp de migrants de Grande-Synthe (Nord), a fait condamner mardi la France à verser 5 500 euros à son oncle, en Grande-Bretagne. Motif : la préfecture du Nord avait refusé d’enregistrer (deux fois, les 31 août et 1er septembre) sa demande d’asile en France. Une étape légale permettant de demander une réunification familiale de l’autre côté de la Manche, seul moyen pour l’ado de rejoindre cet oncle, citoyen britannique, sans avoir à payer un passeur 2 000 à 12 000 euros et risquer sa vie. Une nouvelle astreinte a débuté mercredi : 3 000 euros par jour, tant que l’Etat n’a pas enregistré la demande d’asile.

La préfecture a répondu dimanche que les démarches étaient en cours. « On est dans l’attente de la nomination [de l’administrateur ad hoc chargé de servir de représentant légal à l’enfant, ndlr] par le procureur », dit la porte-parole. « Je reste prudente », confie à Libération l’avocate de Rebwar, Me Marie-Charlotte Fabié, qui travaille pour Safe Passage Citizen UK, association chargée de faciliter la réunification familiale des mineurs des « jungles » du Pas-de-Calais et du Nord. « Cette information ne m’est pas parvenue. Mais si la condamnation a permis d’ouvrir une brèche pour que la préfecture du Nord applique le règlement, c’est une excellente nouvelle, ajoute-t-elle. Je ne souhaite pas polémiquer. Le but n’est pas de faire le tour de France des tribunaux, mais d’appeler les autorités à mettre en œuvre un accueil adapté dans les préfectures. Ces décisions de justice ont vocation à ce que le système s’améliore, et qu’il n’y ait plus d’enfant qui meure ou disparaisse. »

Conséquences.
Aujourd’hui, on compte 1 022 enfants seuls dans la « jungle » de Calais - entre 900 et 950 selon l’Etat - et plusieurs associations estiment qu’autour de la moitié pourraient bénéficier d’une réunification avec des proches outre-Manche. Car si la frontière franco-britannique est verrouillée pour les candidats adultes à l’asile, ce n’est pas le cas pour les enfants. Du moins dans les textes. Les mineurs qui ont de la famille au Royaume-Uni (père, mère, frères, sœurs, oncles, tantes, et parfois plus éloignés…) sont autorisés à la rejoindre en vertu du règlement européen dit Dublin III. Il prévoit que ces mineurs demandent l’asile dans le pays où ils se trouvent - en l’occurrence la France - puis fassent ensuite une demande de réunification familiale. Or, selon Solenne Lecomte, juriste à la Cabane juridique de la « jungle » de Calais (lire ci-contre), seulement 75 mineurs sont passés ainsi depuis le début de l’année.

Les conséquences de cette impasse peuvent être terribles. Selon l’ONG Help Refugees, 129 enfants ont été perdus de vue quand la partie sud du bidonville de Calais a été détruite en mars. Rebwar, lui, multiplie les tentatives de passage, selon son avocate. Avec tous les risques : un Afghan de 14 ans est mort percuté sur la rocade portuaire le 16 septembre, tombé du camion dans lequel il tentait d’entrer et percuté par une voiture qui ne s’est pas arrêtée. Le 27 décembre, Massoud, un Afghan de 15 ans, est mort étouffé à l’arrière d’un camion près de Dunkerque. Le 3 décembre, un Soudanais de 16 ans est mort percuté par une voiture près du tunnel. L’Unicef a expliqué, dans un rapport publié en juin, que certains garçons et filles sont contraints de travailler pour les adultes dans la « jungle », ou d’être abusés en échange de « protection ».

Doute.
C’est sur ce danger que s’est appuyée la juge administrative pour faire condamner l’Etat qui a opposé deux refus à l’adolescent. « Cela place [Rebwar] dans une situation de grande vulnérabilité, […] alors que l’intéressé est isolé en France et qu’il réside dans le "camp" de Grande-Synthe, dans les conditions de précarité, d’insalubrité et d’insécurité décrites par de nombreux observateurs », indique-t-elle dans sa première ordonnance le 9 septembre. Elle reproche aussi à la préfecture d’avoir omis d’alerter le département, chargé de la protection de l’enfance, « une atteinte grave et manifestement illégale au droit de [Rebwar] à ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ». Elle exigeait alors que l’administration saisisse « immédiatement » le procureur de la République. Faute de l’avoir fait, la préfecture a été condamnée à payer, onze jours plus tard. Celle-ci a beau plaider le « dysfonctionnement », la condamnation jette un doute sur la mobilisation de l’administration, alors que le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, répète sur tous les tons qu’il veut vider la « jungle » de Calais en douceur et qu’il travaille avec les Britanniques pour favoriser ces traversées légales.

Ce n’est en effet pas le premier « dysfonctionnement ». Marie-Charlotte Fabié cite le cas de deux enfants syriens originaires de Deraa, une adolescente de 15 ans et son petit frère de 11 ans, qui naviguent entre Paris et Calais et ont essuyé un refus similaire à Paris. Ils vivent sous une tente à Calais, selon Safe Passage Citizen UK qui a interrogé leur grand frère, un ancien étudiant en droit qui a réussi le passage en 2014. « Ils prennent toujours plus de risques, pour échapper au cauchemar de la vie dans la jungle, et nous rejoindre. Ce ne sont que des gosses, ils ne peuvent pas rester dans cet environnement, s’insurge le frère. Ils ont déjà passé six mois à Calais, c’est beaucoup trop. »

Lundi matin, François Hollande sera à Calais pour poser la première pierre de l’extension du nouveau port. A cette occasion, il rencontrera élus et acteurs économiques locaux, très remontés par l’afflux de migrants de l’été. Sans aller dans la « jungle », Hollande profitera de sa visite pour rendre hommage aux forces de l’ordre et rencontrer les humanitaires présents sur le terrain. Samedi, à l’occasion de la visite d’un centre d’accueil et d’orientation à Tours, le chef de l’Etat a rappelé que la France ne serait pas un pays « où on trouvera des campements », en réplique aux critiques de la droite sur les risques de multiples « mini Calais » après le démantèlement annoncé de la « jungle ». »

Voir en ligne : http://www.liberation.fr/france/201...