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« On a trop tendance à prendre ces enfants pour des adultes »

Publié le 27-09-2016

Source : www.liberation.fr

Auteur : Haydée Sabéran

« Solenne Lecomte, juriste à la Cabane juridique de l’appel de Calais , revient sur les méandres des réunifications familiales. Et pointe les manquements de l’Etat.

Il y a 1 022 mineurs isolés dans la jungle de Calais, dont une moitié pourrait être éligible à la réunification familiale, selon les ONG. Signe que la situation s’améliore un peu, Bernard Cazeneuve avait donné ces chiffres lors de la séance de questions au gouvernement : « En 2015, nous avons sollicité 113 demandes de réunification familiale, avec un très faible taux d’accord [de la part de la Grande-Bretagne] de 23,8 %. Sur les quatre premiers mois de 2016, ce sont 118 dossiers qui ont été soumis avec un taux d’accord de 60 %. » La procédure est longue, entre trois et presque six mois selon les cas. Solenne Lecomte, juriste, coordinatrice terrain pour les mineurs isolés et les violences policières à la Cabane juridique de l’appel de Calais, dans la « jungle », explique pourquoi.

Autour de 500 mineurs isolés de la jungle de Calais pourraient passer en Angleterre pour rejoindre une famille, mais 75 seulement l’ont fait depuis le début de l’année.

Quels sont les obstacles ?
Il faut prouver le lien de famille, sans test ADN. On se base sur des documents, reconnaissances de paternité, carnets de vaccination, certificats médicaux, des photos, traces de transfert d’argent, certificats de naissance. On est en contact avec des travailleurs sociaux et des avocats britanniques. Il faut ensuite déposer une demande d’asile en France, puis demander à être réunifié. Faire désigner un administrateur ad hoc. Ce sont des bénévoles ou des salariés d’associations, qui doivent avoir plus de 30 ans, être « de bons pères ou mères de famille ». Il faut les former, ils sont peu nombreux, surchargés. C’est une responsabilité car il faut être là aux entretiens. La conséquence, c’est qu’il y a un goulot d’étranglement. On a eu jusqu’à 16 dossiers en attente d’administrateurs ad hoc. La préfecture envoie le dossier, en principe le soir même ou le lendemain, les Britanniques ont vingt-huit jours pour se positionner et demander un complément. Si la préfecture tarde à prévenir l’administrateur, les mineurs attendent dans la jungle. Et il faut créer le lien de confiance avec l’enfant pour que ça marche. Chez nous, 32 sont passés depuis mars, 32 sont en cours d’examen, 2 passent la semaine prochaine. Pour l’instant, on a essuyé 3 refus de la Grande-Bretagne.

L’Etat français traîne-t-il des pieds ?
Oui. Sur le terrain, tout est sous-dimensionné. La majorité de la réunification familiale et de la prise en charge sociale est faite par des associations, pas par l’Etat. Pour loger ces mineurs en danger, il y a 45 places d’hébergement d’urgence à Saint-Omer, 25 à Arras, et Amina, un projet toujours repoussé, d’ouverture de 72 à 75 places à Jules-Ferry [lieu d’accueil et de distribution de repas en bordure de la jungle, ndlr].Pourquoi pas 200 places ? En gros, on nous dit : « Il n’y a rien. Vous devez l’accepter. » Pour la réunification, l’Etat a mandaté France Terre d’Asile, avec deux intervenants et un interprète. L’objectif : faire passer en Grande-Bretagne 150 enfants avant décembre. Je ne vois pas comment c’est possible, alors que nous avons trois à quatre personnes à plein temps. Pour un public en extrême vulnérabilité, c’est quand même un peu minable.

Et les enfants ?
On a trop tendance à les prendre pour des adultes. Même si certains commencent à fumer, se couchent à 3 heures du matin, voire tombent dans la délinquance forcée. Beaucoup sont victimes de violences, se prennent des gaz lacrymogènes. Même si la vie dans la jungle les change, cela reste des enfants. On exige d’eux qu’ils soient disponibles, qu’ils se lèvent à 7 heures pour un rendez-vous à un entretien dans une langue qu’ils ne connaissent pas, avec un interprète au téléphone ou pour aller prendre des photos d’identité en ville. Parfois, un enfant ne se réveille pas parce qu’il a tenté le passage la nuit. Est-ce qu’on imagine un petit Français de 11-12 ans qui vivrait dans ces conditions, sans ses parents ? Est-ce qu’on cesserait de le prendre pour un enfant ?
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Voir en ligne : http://www.liberation.fr/france/201...