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Calais : faire une dernière liste #5 ?

Publié le 26-09-2016

Source : https://blogs.mediapart.fr

Auteur :

« Depuis que je vais à Calais, je ne sais quoi penser. Je ne sais quoi raconter. Alors je fais des listes. Des listes pour me souvenir. Des listes de visages, de prénoms, d’images, d’odeur.

Ne plus savoir pourquoi y aller. Y aller malgré tout.

Chercher ses marques. Retrouver ses repères : CRS, Algeco blanc, tentes, sables, fumées, grillages. Chercher un shelter du regard et comprendre qu’il a été remplacé par un restaurant.

Douter que 10 000 personnes survivent dans un espace si restreint. Et découvrir à chaque pas une nouvelle bande de dune défrichée et occupées de tentes. Se rappeler alors que ça en fait la deuxième ville du Calaisis, ex-aequo avec Marck. Une ville qui n’a rien d’une ville.

Se dire qu’en quelques mois les choses ont changé et en même temps pas tant que ça. Malgré les terrasses avec vue sur le lac des nouveaux restaurants.

Revoir les mêmes professionnels plus convaincus que jamais. Entendre que des formations ont eu lieu. Que certaines pratiques ont évolué. En respect des personnes mais pas forcément en respect de la loi. Écouter les intervenants, perdus dans les annonces contradictoires des élus, des politiques et des candidats.

Croiser de nouveaux bénévoles et débutants et regretter qu’il y ait un tel turn over. S’attrister que tout recommence. En rencontrer d’autres, de la région et des environs, persévérer avec un respect des personnes inégalé. Se réjouir que tout continue.

S’étonner que les associations et les activités soient, pour la plupart, regroupées à nouveau dans un carré réduit au nord et qu’elles ne se soient pas éparpillées au milieu des exilés.

Ne reconnaître aucun visage.

Apprendre qu’il y a eu à peine 70 mineurs qui ont obtenu un regroupement familial en Angleterre. Depuis le mois de janvier 2016. Et qu’il y aurait près d’un millier de mineurs seuls dans la jungle.

Entendre les mêmes histoires de passage, d’exploitations, d’amateurisme, de manque de temps, de démarches qui aboutissent trop peu, de disparition, de viols, d’agression et d’extrémisme.

S’interroger sur le seuil de tolérance et les standards de prise en charge. Ne pas vouloir admettre que l’urgence et la masse empêchent de respecter le cadre juridique et les projets individuels des personnes.

S’émerveiller d’une quinzaine d’enfants avides d’apprendre dans le dispositif d’apprentissage et d’enseignement de Jules Ferry. Admirer les deux professeurs de l’éducation nationale volontaire et déterminés qui encadrent les classes.

Dénombrer plus d’une centaine d’élèves à l’Ecole du Chemin des dunes. Se délecter de la justesse et de la détermination des bénévoles. Apprendre que l’école ne vit que sur les dons et la solidarité des soutiens.

Se demander s’il est logique qu’une école de bénévoles professionnels attire plus d’élèves qu’un dispositif pseudo-républicain.

Comparer les décorations et le matériel des salles de classe. Se dire que la solidarité a quand même plus de charme et de force que l’institutionnel. Le regretter et s’en réjouir.

Lire les cartes de voeux d’écoliers français qui souhaitent bienvenu aux enfants exilés. Et les coeurs colorés des écoliers anglais qui disent les attendre.

Refuser d’entendre les discours des candidats aux présidentiels et de certains élus qui donnent froid dans le dos par leur absurdité, leur malhonnêteté et leur arrogance. Ne pas admettre que l’accueil et la répartition puissent être un débat. Croire qu’il puisse y avoir un changement d’attitude de la part du gouvernement, que Cazeneuve et Cosse essaient de mettre les moyens. Qu’elles qu’en soient les causes, souhaiter que cela aide les migrants.

Tenter de rejeter une sensation d’être blasée de tout cela.

Se dire que dans quelques jours la destruction de cet énième bidonville risque de commencer. Que les migrants seront invisibles quelques mois avant que d’autres ne se réinstallent de la même manière au même endroit ou plus loin. Car les exilés ne sont pas un stock comme disait Haydée Sabéran, mais des personnes sur la route. »

Voir en ligne : https://blogs.mediapart.fr/evangeli...