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Enquête. Football : peut-on vraiment parler de trafic de joueurs ?

Publié le 7-04-2016

Source : www.courrierinternational.com

Auteur : Ed Hawkins

«  Dans l’espoir de faire carrière dans des clubs européens, de jeunes footballeurs africains s’en remettent à des agents peu scrupuleux. Une intolérable exploitation ? Le phénomène de trafic de joueurs est plus complexe qu’il n’en a l’air, écrit Ed Hawkins, qui a enquêté pendant deux ans sur le phénomène.

Il y a quatre ans, Ben pensait avoir le monde du foot à ses pieds. Il avait 16 ans et venait d’être remarqué par un agent à Yaoundé, capitale du Cameroun. On lui avait promis monts et merveilles, et même de faire un essai au PSG [Paris Saint-Germain]. Mais il devait d’abord débourser 3 000 euros pour payer divers frais, dont son visa, son passeport et le billet d’avion. La famille de Ben a sacrifié toutes ses économies. “Après notre arrivée en avion, nous nous sommes installés dans un hôtel à Paris, raconte Ben. L’agent m’a dit : ‘Attends-moi là. Je reviens.’ Il n’est jamais revenu. Je l’ai appelé plusieurs fois. Encore aujourd’hui je ne sais pas ce qu’il lui est arrivé.”

Le récit de Ben n’a rien d’extraordinaire. Il fait partie de ces milliers de victimes du trafic de jeunes footballeurs. Chaque année, de jeunes garçons quittent leur famille pour l’Europe dans l’espoir de devenir la prochaine star du football. Quand ils arrivent à destination, ils se rendent compte qu’ils ont été bernés. Et, livrés à eux-mêmes dans une ville étrangère, ils finissent souvent par tomber dans la délinquance. En 2009, des membres des Nations unies se sont émus de cette nouvelle forme de traite d’êtres humains, engendrée par l’obsession du football pour la gloire, l’argent et la recherche de nouveaux talents. Mais cette réalité est-elle aussi horrible qu’elle en a l’air ? Après deux ans d’enquête, j’ai découvert que la vérité n’était pas aussi simple [Ed Hawkins a signé un livre-enquête sur le sujet, intitulé The Lost Boys – Inside Football’s Slave Trade, éd. Bloomsbury Sport, nov. 2015].

Agents peu scrupuleux

Il semblerait que Foot Solidaire ait exploité de jeunes joueurs en échange d’argent, alors même qu’il s’agit de la seule association de lutte contre ce fléau. D’autres spécialistes du secteur disent que “de nombreuses victimes de ce trafic mentent pour profiter du système de protection sociale des pays dans lesquels ils finissent”.

Foot Solidaire a été fondé en décembre 2000 par Jean-Claude Mbvoumin, ancien joueur international camerounais dont la carrière a été écourtée par une blessure. Depuis, Foot Solidaire est à l’avant-garde de la lutte contre le trafic de jeunes joueurs. L’association a réussi à prendre contact avec des milliers de jeunes paumés et Jean-Claude Mbvoumin est devenu une sorte de héros, il s’est rendu sur de nombreux plateaux de télévision et s’est largement exprimé dans la presse. Au cours de ses déplacements dans le monde entier, il a rencontré des hommes politiques et de hauts responsables du football.

Financièrement, l’association a connu des hauts et des bas. Elle a bénéficié du soutien de l’Union africaine, du Comité olympique français et de la Fifa. En 2008, ces deux derniers organismes ont participé à la deuxième Conférence internationale du jeune footballeur africain [à Yaoundé], qui portait sur la protection des mineurs. Le président de la Fifa d’alors, Sepp Blatter, a annoncé que Foot Solidaire allait recevoir “un plus grand soutien” de la Fifa. Mais en 2010 ce financement a mystérieusement été retiré.

En mars dernier, l’ONU a organisé à Genève une conférence sur le trafic de jeunes joueurs de football en partenariat avec Foot Solidaire. Ce fut une étape incontournable dans mon enquête. A l’occasion de la conférence, un match amical avec Yaya Touré [footballeur international ivoirien évoluant dans le club anglais Manchester City] et Samuel Eto’o [footballeur camerounais, attaquant du club turc Antalyaspor] devait être organisé, mais il a été annulé. Un jeune footballeur japonais du nom de Shinji qui gravitait dans l’entourage de Mbvoumin espérait jouer dans ce match.

Des semaines plus tard, j’ai reçu un courriel de Shinji : “Aidez-moi, SVP.” Apparemment il avait été victime d’une escroquerie. Pendant presque un an, de septembre 2013 à juillet 2014, il avait versé de l’argent à un “agent” : 3 080 euros au total. L’argent était destiné à son hébergement, à des essais dans des clubs de foot en France et aux frais de voyage de l’agent dans les club où les essais devaient avoir lieu. Sur les cinq essais promis, un seul a vraiment eu lieu.

Shinji a conservé les reçus des sommes payés à cet agent. C’était Mbvoumin. “Je lui faisais confiance, explique Shinji, qui étudie à l’université d’Orléans.
" C’est le patron de Foot Solidaire, l’association qui aide les jeunes. C’est l’un des plus rusés et des plus sournois, et, comme nous voulons vraiment que notre rêve se réalise, alors on est prêt à payer. Jean-Claude le sait bien. C’est pourquoi il fait ça. "

Mbvoumin estime n’avoir rien fait de mal. “Shinji oublie de dire que ces sommes sont des remboursements, dit-il. Je peux apporter les preuves de tous les déplacements et des dépenses.” Il dit ne pas comprendre la contradiction qu’il y a entre le fait de présider une association destinée à lutter contre le trafic de jeunes joueurs et encourager un jeune à quitter sa famille et à débourser des sommes importantes pour faire des essais dans des clubs qui ne le prendront sûrement pas.

Si on ne peut pas faire confiance à la seule association qui défend les jeunes footballeurs africains, quelle est la part de vérité sur ce trafic d’êtres humains ? Foot Solidaire a certes été le premier à révéler ce problème, mais apparemment l’association est désormais juge et partie.

Tissus de mensonges

Selon Solange Cluydts, ancienne responsable de l’immigration à l’aéroport Zaventem, à Bruxelles, et désormais coordinatrice à Payoke, l’une des associations les plus actives en Europe contre la traite des êtres humains, les histoires racontées par des jeunes comme Ben et Foot Solidaire sont “des tissus de mensonges” et elles sont concoctées par les migrants illégaux.

Cluydts raconte qu’il y a eu une “véritable recrudescence” de gamins africains soi-disant victimes d’agents peu scrupuleux en 2001. Cette recrudescence est apparue après l’annonce par l’Etat que ces jeunes pourraient recevoir des dédommagements à la suite d’une affaire très médiatisée portée devant les tribunaux par Jean-Marie Dedecker, ancien député européen belge.

“A partir de 2001, on a entendu beaucoup d’histoires de ce genre, dit-elle. Que les garçons avaient payé quelqu’un et qu’ils avaient attendu et que personne n’était jamais venu…” Solange Cluydts poursuit :
"Nous avons vérifié avec les ambassades. Il leur fallait un visa pour venir en Europe. Or, si quelqu’un s’occupe des papiers à leur place, les ambassades doivent connaître le nom de cette personne. C’est n’importe quoi. Je n’y crois pas une seconde."

Dedecker lui-même ne sait plus qui croire. Il avait découvert que deux Nigérians jouaient pour une somme ridicule au KSV Roulers [club de football belge basé à Roulers, en région flamande]. Leurs papiers avaient été falsifiés pour qu’ils soient plus jeunes et qu’ainsi le club respecte les règles de transfert. La cour a cependant tranché en faveur du club, disant que les gamins ne pouvaient pas être des victimes puisqu’ils étaient consentants lorsqu’ils avaient quitté leur pays. Une manière implicite d’affirmer que le trafic de jeunes joueurs n’existe pas.

C’est précisément cette idée de la complicité des jeunes qui est plus à même de mettre en question le trafic de joueurs que les erreurs de jugement de Foot Solidaire. Darragh McGee, ancien entraîneur de foot au Ghana, travaille à l’université de Bath [en Angleterre]. Il a écrit un article sur le trafic de mineurs dans le sport. Selon lui, la priorité des jeunes est d’échapper à la pauvreté pour mener une vie meilleure en Europe occidentale ; le football est secondaire.
“Ils tentent leur chance, explique-t-il. Ils vont en Europe et tentent le coup. Quand j’ai commencé à enquêter sur ce trafic dans le foot, quelqu’un m’a dit : ‘Tu penses vraiment que ces gamins africains sont manipulés ?’ On peut facilement changer de perception.”

C’est le moins qu’on puisse dire. Quand j’ai rencontré Ben pour la première fois, j’étais persuadé qu’il avait été victime d’une arnaque. J’ai commencé à tiquer quand il a refusé de rentrer au Cameroun. “Pourquoi je rentrerais au pays ? Ici on vit bien mieux qu’en Afrique.” Un autre jeune abandonné, Sulley, avait été envoyé du Burkina Faso à 16 ans pour jouer au Portugal. Il a déménagé à Paris, mais a rejeté l’offre de 200 euros par match d’un club, parce qu’il trouvait que ce n’était pas assez bien payé. Ces deux jeunes ont des smartphones dernier cri et portent des vêtements de marque.

Champ libre

Peut-on dire pour autant qu’il n’y a pas de victimes ? Non. Face à l’incapacité du milieu du football à endiguer les transferts de joueurs mineurs, les criminels ont le champ libre. Le FC Barcelone a été condamné l’année dernière pour avoir violé les réglementations de la Fifa sur les contrats signés par des mineurs.

Jay-Jay est guinéen. Il est venu à Londres pour jouer au foot, mais son recruteur a abusé de lui et a voulu le prostituer. Le jeune homme ne peut rentrer chez lui, car la communauté musulmane de son village menace de le tuer parce qu’il a été victime d’abus sexuels. Il a 21 ans, étudie maintenant dans une université de l’est de Londres et travaille dans une friperie. On lui avait conseillé de contacter Foot Solidaire. Il a raconté à Mbvoumin son histoire. Il attend toujours son aide. »

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