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La population de réfugiés à Calais : qui est fantaisiste ? Qui ment ?

Publié le 7-04-2016

Source  : www.blogs.mediapart.fr

Auteur : François G.

«  A Calais, le nombre de réfugiés présents sur le bidonville est un fort enjeu pour le gouvernement, qui utilise les chiffres pour justifier sa politique. Alors que les méthodes de comptage de la police sont sommaires, une fois de plus, les recensements effectués par les organisations humanitaires sont mis en cause.

Les associations L’Auberge des Migrants et Help Refugees ont procédé à un recensement de la population de réfugiés présente à Calais. 3.376 personnes vivent dans le bidonville, réduit maintenant à sa partie Nord, dont 400 environ dans les tentes bleues de la sécurité civile. Ajoutées aux 1.400 personnes dans les conteneurs du Centre d’accueil provisoire (CAP), et aux 170 femmes et enfants dans le centre d’accueil de jour Jules-Ferry, la population totale s’élève à 4 946 personnes.

Aussitôt parus, ces résultats ont été remis en cause par la préfète, Mme Buccio. Le Ministre de l’Intérieur lui-même, Bernard Cazeneuve, a qualifié les chiffres de faux, le recensement de fantaisiste, et a demandé « que les manipulations s’arrêtent ».

Il faut dire que ces chiffres sont devenus un vrai enjeu pour le gouvernement. En septembre dernier, au moment où la population des « Calaisiens », comme disent les autorités dans un splendide raccourci, atteignait son apogée, le gouvernement avait indiqué qu’environ 6 000 personnes vivaient sur « la Lande », le terme poétique attribué par les mêmes autorités au plus grand bidonville de France. Les associations d’aide aux réfugiés s’étaient contentées de déclarer qu’à leur avis, le nombre réel était plus proche de 7 000 que de 6 000.

Puis le Ministère de l’Intérieur, pour satisfaire aux demandes de la Maire de Calais et des pouvoirs économiques locaux, décidait de diminuer la population de réfugiés. En octobre, il ouvrait les premiers « centres de répit », rebaptisés ensuite « centres d’accueil et d’orientation » (C.A.O .), partout en France, pour proposer aux réfugiés des meilleurs conditions de vie, et une réflexion sur leur projet. En parallèle, les forces de police procédaient à de massives arrestations, les réfugiés étant expédiés, par autocar ou avion, vers des centres de rétention disséminés sur le territoire. Et il affichait dans la foulée une baisse importante de la population locale : 6 000 personnes, moins 2 500 expédiées vers les C.A.O. et les centres de rétention, égalent 3 500 personnes à Calais.

Simples « oublis » : les personnes détenues étaient pour la plupart très rapidement libérées par les autorités judiciaires, et une personne sur deux (chiffre officiel du Ministère pour la période de octobre 2015 à janvier 2016) quittait les C.A.O., soit à cause des mauvaises conditions de vie, soit à cause de l’isolement de certains C.A.O. et du médiocre accueil des élus et de la population locale, soit du fait du manque d’accompagnement juridique pour les demandeurs d’asile. La plus grande partie de ces sortants regagnait Calais.

En décembre, le gouvernement comptait à nouveau : 3 500 personnes, moins les 800 personnes hébergées dans la première tranche du C.A.P. (les conteneurs), moins 200 femmes et enfants hébergés à Jules Ferry, donnaient 2 500 réfugiés dans le bidonville, dont la moitié, « 800 à 1 000 dans la partie Sud de la Lande ». Il fallait en effet préparer la deuxième phase du plan de diminution de la population de réfugiés : la destruction de la partie sud du bidonville, et l’expulsion de ses occupants, pardon, « la mise à l’abri » de ces personnes. Pour Cazeneuve, le compte était bon : 800 à 1 000 personnes à reloger, qui iront à Jules Ferry (100 places disponibles), dans les conteneurs (750 places disponibles, c’est-à-dire la deuxième tranche), et les autres dans les C.A.O.

Démolition de la zone Sud

Etonnées par ces chiffres, les associations L’Auberge des Migrants et Help Refugees décidaient mi-février de procéder à un recensement de la population du bidonville, zone Sud, puis zone Nord. Un protocole précis était mis en place : le bidonville était divisé en sous-zones, chaque cabane, caravane ou tente était numérotée, les résidents interrogés, et les chiffres enregistrés ; des codes étaient appliqués à la peinture, indiquant si le lieu était vide, une deuxième et une troisième visite ayant alors lieu. Les résultats étaient les suivants : 3 500 personnes dans la zone Sud, 2 000 dans la zone Nord. Ce recensement était aussi l’occasion de dénombrer les mineurs isolés, avec, au bout du compte, autour de 400 mineurs non accompagnés, un chiffre proche, cette fois, de celui du gouvernement, qui en dénombrait 320.

La préfète du Pas de Calais et le Ministre démentaient les résultats des associations, mais, comme par hasard, alors que les premières cabanes étaient détruites au bulldozer, ajoutaient aux places en C.A.O ; C.A.P. et Jules Ferry, les 500 places disponibles dans les tentes bleues de la Sécurité Civile, pour « mettre à l’abri » plus d’expulsés que prévu.

La démolition de la partie sud du bidonville, fin février à mi-mars, poussait les réfugiés, soit à accepter les hébergements, sur place et ailleurs, proposés par le gouvernement, soit à partir vers Paris, la Belgique ou la Normandie. Il faut ajouter que, malgré les affirmations du gouvernement, des réfugiés continuaient à passer en Grande-Bretagne, soit en payant des prix exorbitants aux passeurs, soit en prenant de grands risques sous les camions. Mais la grande majorité des habitants de la zone Sud bougeaient leurs caravanes ou leurs abris en bois vers la zone Nord.

Sursis pour la zone Nord

Fin mars, une fois la situation stabilisée, le gouvernement surprend tout le monde en annonçant que la partie Nord ne serait pas détruite dans l’immédiat. Logique… : le nombre de femmes et enfants à Jules Ferry plafonne à 200, le CAP est presque plein, avec 1 400 occupants pour 1 500 places, et les tentes bleues sont quasi-remplies, avec 400 personnes. Et chacun peut voir qu’il y a beaucoup de monde sur le bidonville… Les places nouvelles ouvertes en CAO ne peuvent pas absorber cette population, à supposer qu’elle veuille bien y aller. Elles peuvent tout juste compenser la fermeture de certains CAO, une quarantaine sur les 120 existants, qui sont des centres de vacances et doivent accueillir d’autres publics à partir de Pâques. D’où le répit annoncé : le gouvernement, s’il avait poursuivi la démolition du bidonville, ne pouvait plus parler de « mise à l’abri » !

Le 21 mars, la police procède à un nouveau comptage. Il y aurait 3 500 personnes en tout, dont 170 à Jules Ferry, 1 400 dans les conteneurs, et donc 1 900 environ dans le bidonville, dont 400 dans les tentes bleues.

Des bénévoles ont observé de près la façon dont la police procède. Sur un temps court –la préfecture indique une petite demi-journée de travail, de 7 h à 11 h 30 – quatre groupes de policiers, en tenue de Robocop, ont frappé aux portes. Les témoins attestent que des personnes réveillées par des coups de poing sur les portes – à cette heure-là le bidonville dort- n’ont pas répondu, par peur, et que leur cabane a été comptée vide. D’autre part, les policiers ont interrogé ceux qui voulaient bien ouvrir, ont écouté leurs déclarations, mais n’ont compté que les personnes qu’ils voyaient. On sait que les policiers n’aiment pas faire ce travail, et il n’est pas difficile d’imaginer qu’il a été en partie bâclé. D’après de nombreux réfugiés, ils n’expliquaient pas aux résidents l’objectif de ce travail de comptage, ce qui ne pouvait que susciter de la méfiance.

Dans les jours qui ont suivi, 14 bénévoles travaillent durant trois jours, identifiant à nouveau tous les abris, confrontant notamment les déclarations des résidents au nombre de couchages visibles dans chaque cabane, tente ou caravane, revenant à plusieurs reprises pour contrôler les abris trouvés vides aux premières visites, interrogeant chacun pour savoir s’il ne dormait pas la nuit dans un conteneur et vivait le jour dans le bidonville, pour éviter de compter deux fois ces personnes… pour trouver en fin de compte 3 376 personnes dans le bidonville, soit 1 500 de plus environ que la police.

Des chiffres au service d’une politique

Première remarque : quel intérêt auraient eu les associations de grossir le chiffre réel ? Au contraire, mettre l’accent sur l’importance de la population réelle pourrait alerter les « anti-migrants » et les pousser à faire pression sur le gouvernement pour achever sans délai la destruction. Deuxième remarque : le gouvernement comptait 3 500 personnes en tout, à Calais, avant la démolition de la zone Sud, pour en retrouver 3 500 à nouveau après cette démolition ! Cela signifierait que cette destruction était inutile, qu’elle n’a pas fait baisser la population, et que la politique des autorités était inefficace ?

Au contraire, et ce sera la troisième remarque, les chiffres des associations – rappelons-les, 6 500 avant la destruction du bidonville sud, 5 000 aujourd’hui, - sont cohérents : on sait que des réfugiés sont partis, en CAO ou ailleurs, ou sont passés en Grande-Bretagne, ou sont venus vivre dans les conteneurs. Sur 3 500 résidents de la zone Sud, 1 500 environ se sont réinstallés sur la zone Nord. Les autres sont partis, leur départ étant en faible proportion compensé par des nouveaux arrivants.

Comme par le passé, et comme à de nombreuses reprises, les chiffres de la Préfecture et du gouvernement ne sont que des outils au service d’une politique : ceux de septembre, 6 000, proches de la réalité, pour faire peur ; ceux de décembre, 3 500, pour faire croire à l’efficacité de la politique d’éloignement des trois mois précédents ; ceux de la population de la zone Sud, en janvier, avant sa démolition, 800 à 1 000, juste assez pour faire croire à une « mise à l’abri » cohérente avec le nombre de places offertes. Ceux actuels, pour nier la densité de peuplement de la zone Nord, produit de la destruction de la zone Sud, avec ses conséquences sanitaires (surpopulation, diminution relative du nombre de points d’eau et de toilettes, perte de certains lieux de vie), et pour préparer un discours mensonger quand la destruction finale du bidonville sera décidée. L’état pourra annoncer « seulement 1 600 personnes à évacuer », pardon, « à mettre à l’abri ».

En contestant les chiffres des associatifs, le gouvernement a encore tenté de montrer que les associations et ONG qui aident les réfugiés de Calais sont fantaisistes, manipulatrices, disent des mensonges…Cazeneuve avait déjà dénoncé le 9 mars dernier, outre les « dangereux activistes No Border », « les multiples acteurs dont la situation difficile des migrants constitue le miroir narcissisant de leurs préoccupations égotiques ». La police, la préfecture et le Ministre sont, eux, bien sûr, seulement préoccupés du bien commun... »

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