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Les "orphelins" de la jungle

Publié le 4-03-2016

Source : http://www.parismatch.com

« Pour les réfugiés, l’attente est interminable. Et aujourd’hui leur camp est en partie évacué.

Ses gestes désordonnés indiquent qu’Imran est un enfant privé de gouvernail. Il affirme avoir 12 ans, certains diront qu’il en a 14. Tout juste saura-t-on qu’il vient d’Afghanistan et que ses parents sont « ailleurs ». Quand il aperçoit une patrouille de policiers, il fait comme Asif*, Mahdi et deux autres jeunes Afghans : il s’agrippe à « Mama Liz », une Britannique, la cinquantaine, sourire lumineux et traits tirés. Ancien pompier, elle a débarqué, il y a six mois, avec un camion rempli de dons. Elle n’est jamais repartie.

Au cœur de la « jungle », Liz a posé sa caravane, planté des piquets et monté une bâche. Avec des bouts de ficelle, elle a créé le Women’s Centre, un lieu de jour sécurisé, d’abord réservé aux femmes et à leurs jeunes enfants puis vite ouvert à une tranche bien particulière de la population : les mineurs non accompagnés. Ainsi est-elle devenue Mama Liz.

"ILS DORMENT PEU, BOIVENT DU RED BULL. ILS ONT BESOIN D’UN SUIVI, D’UNE MISE À L’ABRI D’URGENCE"

Au milieu de cette poignée d’adolescents qui s’accrochent violemment à son blouson, Liz reste imperturbable. Elle les entoure d’un bras tout en réglant un problème au téléphone. La moitié de la « jungle » va bientôt être rasée, mais elle ravale ses craintes et réprimande Mahdi qui vient de lui tirer les cheveux. « Ils dorment peu, boivent du Red Bull. Ils ont besoin d’un suivi, d’une mise à l’abri d’urgence. C’est un droit. A Calais, le camp Sud va disparaître alors qu’aucune solution n’a encore été trouvée pour la plupart d’entre eux. Ces gamins vont repartir en errance, on va les perdre. La nuit, on les surprend sur la rocade portuaire. Dernièrement, on a retrouvé ces deux-là paniqués à l’arrière d’un camion. »

Il y a deux mois, un garçon de 15 ans est mort asphyxié à l’intérieur d’un fourgon. « Il n’aurait jamais dû mourir. Il avait droit au regroupement familial. C’était une question de temps avant qu’il puisse se rendre légalement au Royaume-Uni. En France, sans tuteur légal, les procédures sont si longues ! Ce petit en est mort », lance Liz, indignée. « On tente de monter des dossiers avec des juristes et des avocats, de faire jouer le regroupement familial avant qu’ils ne repartent dans la nature », confie-t-elle.

Au milieu de ses protégés, Mahdi, un Afghan de 14 ans, habitant de la « jungle » depuis presque quatre mois. Ce petit gaillard insaisissable et colérique n’a livré que des bribes de son histoire. « On sait qu’il a voyagé à travers le Pakistan, l’Iran, la Turquie et la Grèce, explique Advia, une bénévole. Parfois, il se recroqueville dans la position du fœtus et parle de boîtes dans lesquelles ils étaient quatre ou cinq, transportés clandestinement. Il nous dit que, s’il avait su que le voyage s’éterniserait à Calais, il ne serait jamais parti de chez lui. On essaie de le placer dans une famille d’accueil, mais ça prend du temps. »

AMIN N’A QU’UN SEUL RÊVE : ALLER AU ROYAUME-UNI POUR ÉTUDIER

Dans une tente aux couleurs du drapeau afghan qui sert de restaurant, Liz décompresse devant un thé. Chaque soir, elle prend en charge la nourriture d’une trentaine d’enfants, essentiellement grâce à l’argent recueilli sur Internet. Poulet, riz et haricots, les bons soirs. Ensuite, ils dorment où ils peuvent, se couvrent comme ils peuvent. Certains se sont dégotté de minuscules tentes, d’autres des abris faits de vieilles planches ; d’autres encore se partagent des caravanes.

Amin, 10 ans, crapahute dans une ruelle inondée par la tempête qui a soufflé plusieurs campements. Il est un des plus jeunes mineurs isolés de la « jungle » de Calais. Quand son père a été tué par les talibans, il s’est enfui avec un oncle, qu’il a perdu de vue lors d’une tentative de passage vers le Royaume-Uni. La communauté afghane l’a pris sous son aile. « Les lacs de mon pays me manquent. Je n’ai qu’un seul rêve, aller au Royaume-Uni pour étudier. Je tente de traverser, mais la mer m’inquiète parce que j’ai peur des poissons. Et je n’aime pas les bombes lacrymogènes de la police. » Amin se tord la bouche comme pour mieux réfléchir. Une semaine plus tôt, il a grimpé dans un camion. « J’ai compris trop tard. Je me suis retrouvé en Allemagne alors que je veux aller au Royaume-Uni ! Des personnes ont voulu s’occuper de moi là-bas mais je ne voulais pas rester et je me suis enfui. La nuit, j’ai fait du stop et j’ai rejoint Paris, gare du Nord. Je me suis caché en attendant le prochain train pour Calais. » Il n’a qu’une seule idée en tête : rejoindre son oncle. Son dossier est entre les mains d’une avocate. En attendant, il n’en dort pas. Il nous entraîne à l’extrémité du camp pour nous montrer sa caravane rose et blanc, récupérée grâce au bouche-à-oreille. Il l’occupe, avec un autre jeune Afghan et Sajad, 14 ans. Tous mineurs isolés, comme lui.

Sajad vient de se réveiller après avoir passé une partie de la nuit sur la rocade. Le 21 janvier, il a été victime d’une attaque alors qu’il discutait à l’entrée de la « jungle ». Il nous montre ses points de suture : « Des gens m’ont frappé aux genoux, à la tête et aux mains. Je suis resté sept heures à l’hôpital. Je souhaite rejoindre mon frère au Royaume-Uni. Je veux être libre. Je n’ai rien à me reprocher. Ici, ça n’est pas une vie. » A Calais, de nombreuses ratonnades ont été signalées ces dernières semaines. Les mineurs isolés, particulièrement vulnérables, en font les frais. Des juristes, membres du Legal Center de Calais, appuyés par Médecins du monde et Médecins sans frontières, ont fini par déposer une dizaine de plaintes au tribunal de Boulogne-sur-Mer. « On a récupéré un certain nombre de témoignages. Il y a de graves blessures, des fractures », affirme Loïc Blanchard, responsable juridique de Médecins du monde. Tout près de la caravane, le petit Amin nous salue avant de s’élancer dans la boue. Bientôt l’heure de « jumper » vers le Royaume-Uni, nous lance-t-il plein d’espoir.

"LE VOYAGE M’A COÛTÉ 5 000 EUROS. ON CACHAIT NOTRE ARGENT DANS NOS CHAUSSURES"

D’autres arrivent à transiter par un abri d’urgence où ils trouvent de quoi se requinquer. L’association France terre d’asile propose quarante-cinq lits dans la maison d’accueil de Saint-Omer, financée par le département. Elle a enregistré le passage de 1 356 mineurs en 2014, de plus de 1 400 en 2015. « L’objectif est de leur proposer un repas, un accès aux soins et de leur expliquer leurs droits. Des informations reçues jusque-là de la famille ou des passeurs… Pour s’en sortir, il faut des outils juridiques. Ils ont cinq jours pour réfléchir à leur parcours migratoire. On les accompagne. Pour ceux qui font le choix de rester en France, on procède à une ordonnance de placement provisoire », explique Jean-François Roger, directeur de l’établissement. « C’est vrai qu’il faudrait plus de lits », admet-il.

La grande bâtisse du XVIIIe siècle, chaleureuse et grouillante de vie, ressemble de prime abord à n’importe quel lieu peuplé d’adolescents. Sauf que ces jeunes, âgés de 15 à 18 ans, ont fui la dictature, l’enrôlement, les menaces ou la terreur. Ils ont été envoyés en Europe par leurs familles dans l’espoir d’une vie meilleure ou ont perdu un parent dans le périple. Au fond du dortoir, Shamrez, un Afghan de 15 ans, observe craintivement. Lui, c’est un oncle qui voulait le voir grandir loin des talibans. « Le voyage m’a coûté 5 000 euros. On cachait notre argent dans nos chaussures. Si l’on ne marchait pas assez vite, les passeurs nous frappaient », murmure-t-il. Il a tenté plusieurs fois de passer en Angleterre. Assommé par le vent glacial, il est venu se mettre au chaud. Avant même d’avoir vécu, ces enfants sont brisés. Le HCR, l’agence des Nations unies pour les réfugiés, réclame à cor et à cri des lits supplémentaires et tire la sonnette d’alarme sur les conditions de vie de ces enfants, tant au sein des camps de Calais que de Grande-Synthe, aux abords de Dunkerque.

Ce samedi, la rocade est presque silencieuse. Moins de camions. Une partie de cricket s’organise sur « la bande des 100 mètres » aux abords du camp Sud, les humanitaires distribuent des bons pour des repas aux plus grands et mouchent le nez des plus petits, enrhumés. Quelques minutes de répit sans penser au démantèlement. La préfecture a promis que cela ne se ferait pas dans la brutalité mais par des maraudes « invitant » à libérer les lieux. Les deux humanitaires britanniques qui achètent des cigarettes à l’unité dans la petite épicerie d’Omar, bientôt rasée, s’inquiètent. A raison : contrairement aux promesses, l’expulsion débutera dans la violence. Pour l’heure, le slogan « Migrants dehors » s’affiche sur les réseaux sociaux. La pluie vient de cesser, les vêtements vont pouvoir sécher. Liz et son cortège d’ados débarquent. Le petit Mahdi a oublié sa colère. Il tue le temps en sillonnant les ruelles boueuses sur un vélo cross. Mama Liz distribue les sacs de couchage. Imran observe le ciel depuis un talus de terre. Il tend le doigt vers la rocade portuaire : « Tu vois, là-haut, cette route ? Tu la vois ? Au bout, il y a l’Angleterre. Un jour, j’irai là-bas. »

* Certains prénoms ont été modifiés. »

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