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Le calvaire des migrants mineurs échoués en Grèce

Publié le 4-03-2016

Source : http://www.liberation.fr

Auteur : Maria Malagardis, Envoyée spéciale à Athènes

« Pour fuir la misère dans son pays, Younes, marocain, a dû quitter sa famille. Piégé par les passeurs, il a accosté sur l’île de Lesbos. Il est aujourd’hui logé dans un foyer à Athènes, sans pouvoir sortir du pays.

Appelons-le Younes puisqu’il préfère ne pas donner son vrai prénom. De toute façon, c’est un jeune fantôme. Légalement, il n’existe plus : le document qui l’autorisait à rester en Grèce pendant seulement trente jours est depuis longtemps périmé. D’ailleurs, malgré son air juvénile et sa petite taille, officiellement, ce n’est même plus un enfant : il a eu 18 ans en janvier. Trois mois après être arrivé en Grèce. « C’était le mois dix », se souvient-il, en utilisant cette façon très usitée au Maghreb de désigner les mois avec le chiffre dans le calendrier.

« Le rêve de tout le monde »
Désormais adulte, Younes n’a rien à attendre d’une quelconque décision sur le regroupement familial des migrants mineurs non accompagnés. Mais il a d’autres raisons de s’inquiéter. Younes est marocain. Coincé à Athènes, parce que les pays voisins de la Grèce érigent des barbelés et, surtout, parce qu’il ne fait pas partie du « bon » contingent de migrants : les Syriens et les Irakiens, seuls susceptibles d’être accueillis par une Europe qui évalue, selon ses propres critères, le degré du désespoir qui donne droit au sésame du droit d’asile. Et encore, au compte-gouttes : en cette fin de semaine, 10 000 personnes se retrouvent bloquées à Idomeni, au poste-frontière avec la Macédoine, dans des conditions très précaires.

« L’Europe, c’est le rêve de tout le monde », soupire Younes, de sa petite voix cassée. Lui aussi aurait bien aimé continuer plus au nord et rejoindre sa tante, la sœur de sa mère, installée depuis longtemps en Belgique. C’était le but initial de ce long voyage qu’il a entrepris seul, avec la rage du désespoir. « Mon père est mort, ma mère vit dans la misère, avec ma petite sœur handicapée. Je ne peux pas l’aider au Maroc, là-bas, tout est bloqué quand tu es pauvre. J’ai dû partir pour tenter ma chance ailleurs », explique-t-il.

Un beau jour d’octobre, le fameux « mois dix », Younes a donc embarqué dans un avion, de Casablanca à Istanbul. Rien de plus facile : 500 euros l’aller simple, et même pas de visa nécessaire. A l’aéroport, trois hommes l’attendent, comme convenu avec l’intermédiaire qui avait arrangé le voyage à Casablanca. Ils le conduisent sans plus d’explications dans « une maison sombre » de la ville. « Il faisait nuit, je me suis retrouvé dans un salon où des gens prenaient des drogues dures. On aurait dit des zombies ! Je me suis jeté dans une pièce et j’ai fermé à double tour. Ils ont tambouriné contre la porte, toute la nuit. Moi, j’étais aux aguets, je n’ai pas fermé l’œil », se rappelle-t-il.

Le lendemain, l’un des hommes l’emmène en voiture, très loin de la ville. Un jour plus tard, il se retrouve sur une plage. Là encore, il fait nuit. L’homme exige soudain 800 euros et, après les avoir empochés, lui intime l’ordre de monter dans un Zodiac surchargé. « J’ai protesté. Il y avait trop de monde, j’ai compté 60 personnes ! J’étais le seul qui n’avait même pas de gilet de sauvetage. Le gars a sorti un flingue, il me l’a collé sur la tête, alors je suis monté », raconte le jeune homme qui garde un souvenir terrifié de sa traversée vers la Grèce. « Tu as peur, il fait sombre. Il y a des vagues énormes, alors les gens crient et pleurent. Le moteur s’est arrêté quatre fois, on ne savait rien, on ne voyait rien », s’agite soudain Younes. Plusieurs heures plus tard, il échoue cependant sur l’île grecque de Lesbos, dont il garde aussi un mauvais souvenir : « On nous avait mis tous ensemble, nous les mineurs non accompagnés. Il y avait des Syriens, des Afghans, des Irakiens. On était tous dans un local qui ressemblait à une prison, la bouffe était dégueulasse. »

Une proie de choix
A peine arrivé à Athènes, Younes est, comme tous les mineurs recueillis seuls, dirigé vers un foyer. On lui offre le gîte et le couvert, il retourne à l’école, avec des cours chaque matin. « Mais l’après-midi, personne ne peut garder ces ados enfermés à double tour », confesse Dimitra, l’animatrice d’un foyer dans le quartier d’Exarchia. Comme tous les autres jeunes migrants, Younes sera vite attiré vers la place Victoria et la place Omonia : les deux endroits centraux d’Athènes où traîne une faune désœuvrée en quête de faux papiers. « C’est facile, tu te pointes, tu attends et, rapidement, un homme t’accoste et te propose un deal », résume Younes.

Pour les trafiquants, les enfants séparés de leurs proches sont une proie de choix. Plus impatients de partir pour rejoindre leur famille de l’autre côté de ce nouveau rideau de fer, plus inconscients des dangers aussi. « C’est un vrai scandale. Quand un mineur est réclamé par un proche, même légalement installé dans un pays européen, il faut en moyenne six à huit mois avant d’obtenir l’autorisation de son transfert. Résultat ? Certains enfants, mais aussi leurs proches perdent patience, et c’est alors la tentation du passage illégal qui s’impose », fustige Laura Pappas, la responsable de Metadrasi, une ONG impliquée auprès de ces mineurs migrants à Athènes. Elle se souvient ne pas avoir pu empêcher le départ de deux fillettes handicapées, tombées dans les griffes d’un passeur. « Et encore, celles-ci ont eu de la chance. Elles ont finalement réussi à rejoindre clandestinement leur famille dans le nord de l’Europe », souligne Laura Pappas, qui s’inquiète du nombre de mineurs, évalué à 10 000 par l’Unicef fin janvier, dont on a perdu définitivement la trace. « La route la plus dangereuse, c’est à travers l’Albanie. Des tas d’histoires circulent parmi les migrants sur des corps retrouvés pendus aux arbres, sur des trafics d’organes », soutient Younes, qui a tenté deux fois de passer illégalement la frontière macédonienne au nord de la Grèce.

Des cadavres éparpillés
Des morts, lui aussi il en a vu, quand il s’est retrouvé de l’autre côté, dans un immense no man’s land. « On marchait dans les hautes herbes, et là, il y avait des cadavres, éparpillés et bouffés pas les chiens », dit-il. Qui étaient ces gens ? Pourquoi sont-ils morts ? Younes n’en sait rien, ne pose pas de question au passeur taciturne, qui finit par l’abandonner. « La première fois, je me suis vite fait attraper par la police macédonienne. Ils m’ont roué de coups, avant de m’éjecter en Grèce. La deuxième fois, je me suis fait prendre en Serbie, les gars étaient plus corrects », souligne-t-il.

Aujourd’hui, Younes ne veut plus tenter le passage en force de la frontière. Il est rentré à Athènes, a rejoint un foyer, où une dizaine d’ados logent avec lui dans une ambiance de colonie de vacances. Les chambres sont confortables, un peu en désordre, « mais ce sont des garçons », s’excuse l’une des responsables qui déplore avec fatalisme « cette manie qu’ils ont d’être en permanence accrochés à leur portable ». Des gosses donc, comme tous les autres. Certains repartiront, d’autres comme Younes se sont fait une raison : ils resteront ici à Athènes, « pour le moment ». Il apprend à parler grec, se débrouille déjà plutôt bien, rêve timidement de « faire du commerce ». Sa mère l’encourage à rester en Grèce, il lui parle régulièrement via Skype.

« Tous ces jeunes sont en souffrance et sous pression. Soit ils ont perdu leur famille sur la route, soit ils ont été envoyés en éclaireurs, et parfois aussi, ils sont partis pour qu’au moins un membre de la famille échappe à une guerre ou à une vendetta. Mais aucun n’a choisi de quitter sa famille de plein gré », souligne Dimitra dans le foyer d’Exarchia, qui réussit avec des moyens très limités à créer une ambiance réellement familiale pour les enfants perdus d’Athènes. Ils ont tous appris à grandir vite. Mais la vraie vie d’adulte n’est guère plus rassurante. Younes le sait, désormais il peut être expulsé à tout moment vers son pays d’origine. « Moi, si on me renvoie un jour au Maroc, je le jure : je me suicide », lance-t-il, soudain recroquevillé, les poings serrés. »

Voir en ligne : http://www.liberation.fr/planete/20...