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Jungle de Calais : le mirage de l’évacuation

Publié le 23-02-2016

Source : www.liberation.fr

Auteurs : Michel Henry, Haydée Sabéran et Sonia Delesalle-Stolper

« Une semaine après l’ultimatum de la préfète du Pas-de-Calais, la destruction de la zone sud du bidonville devrait débuter ce mardi. Mais l’opération ne fait que déplacer le problème.

Ce mardi à 20 heures, tous les habitants de la zone sud de la « jungle » de Calais, hommes, femmes et enfants, devront avoir déguerpi. Devant le manque d’alternatives au bidonville offertes aux migrants afghans, syriens, soudanais, érythréens, iraniens qui y vivent en attendant de réussir un passage clandestin vers l’Angleterre, huit associations ont déposé un recours. Après les artistes anglais, dont Jude Law, qui était dans la jungle dimanche, des associations et des artistes, parmi lesquels Agnès b. et Guy Bedos, ont demandé dans le Monde d’annuler l’expulsion. La défenseure des enfants était à Calais lundi pour demander une attention particulière aux plus jeunes réfugiés. Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a pour sa part déclaré que l’expulsion serait « progressive, par la persuasion et dans le respect de la dignité des personnes ». Dans cette jungle installée il y a un an sur ordre de l’Etat pour faire disparaître les migrants du centre-ville, la question qui se pose aux exilés est : partir pour aller où ?

Pourquoi évacuer la « jungle » ne sert à rien

Ce qu’il risque de se passer, comme à la fermeture de Sangatte, comme quand Eric Besson a fait démanteler la jungle afghane de 2009 - à quelques centaines de mètres de l’actuelle : les migrants vont s’éparpiller, entrer dans l’errance. Ça a déjà commencé. Depuis des mois que la frontière calaisienne s’est durcie, les migrants regardent les horaires des ferrys de Dieppe, Cherbourg, Caen-Ouistreham, sur leur smartphone, tentent leur chance à Zeebrugges, ou font des allers-retours dans les autres jungles de la région, comme à Norrent-Fontes ou à Steenvoorde. Partout dans ces villes, il y a des petites jungles.

Les migrants ont la possibilité d’aller dans les conteneurs blancs de la jungle - entrée sur empreinte de la paume de la main, pas de possibilité de cuisiner -, où il reste 200 places, ou dans les centres d’accueil et d’orientation, créés partout en France, où ils peuvent « réfléchir » et demander l’asile. Soit 800 places pour « 800 à 1000 personnes » dans la « zone sud » de la jungle, selon la préfecture. D’après l’Auberge des migrants et Help Refugees, ils sont 3 450, dont environ 300 mineurs non accompagnés, et 90 mineurs qui ont de la famille au Royaume-Uni. Le compte n’y est pas, mais l’Etat assure qu’on fera de la place pour tous. Il sait que les exilés ont pour but l’Angleterre et que 800 places, c’est beaucoup. Enfin, en admettant que tous ces gens quittent Calais pour demander l’asile en France, que va-t-il se passer avec les nouveaux venus ? Les migrants continueront de venir et de s’échouer dans le nord de la France. Dans d’autres jungles, dans des squats. Mais toujours là.

Pourquoi les migrants ne veulent-ils pas rester en France ?
D’abord, ils veulent travailler : une France à plus de 10 % de chômage n’est pas attractive. Le système britannique leur semble plus souple et prometteur - ils espèrent souvent y retrouver des proches déjà installés, alors qu’en France, beaucoup restent isolés, sans réseau pour des jobs. Et ils en ont tellement bavé pour arriver jusque-là, pendant des mois voire des années de galère sur les routes et les mers, qu’ils ne vont pas abandonner si près du but.

Ensuite, la procédure pour obtenir l’asile dans l’Hexagone est longue et contraignante : elle implique de longs mois, parfois des années, sans pouvoir travailler et sans accéder à un logement pourtant prévu par la loi, les structures d’accueil étant insuffisantes. Enfin, les réfugiés sentent bien l’ambiance anti-migrants. Ils ne sont pas les bienvenus, comme le Premier ministre, Manuel Valls, le leur rappelle. La France ne crée pas les conditions pour qu’ils restent, et fait tout pour qu’ils ne viennent pas.

Pourquoi l’Angleterre est-elle si attractive ?

Avec un taux de chômage à 5,2 %, le taux le plus bas depuis dix ans, un marché du travail très flexible, la perspective de trouver un emploi, même mal payé et peu qualifié, est attrayante. La majorité des migrants viennent pour travailler (43 %) ou étudier (36 %). Seuls 17 % cherchent à rejoindre au Royaume-Uni un membre de leur famille, selon The Migration Observatory de l’université d’Oxford. L’anglais est également un facteur : beaucoup de candidats à l’exil l’ont appris comme seconde langue et pourront plus facilement s’intégrer. Parallèlement, le système éducatif joue un rôle important. Le Royaume-Uni était en 2013 le pays accueillant le plus d’étudiants internationaux après les Etats-Unis.

Enfin, il y a les connexions familiales ou culturelles, notamment avec certains pays du Commonwealth. Il existe au Royaume-Uni une forte communauté érythréenne installée depuis les années 70 et 80. Les réseaux déjà en place facilitent l’installation. Les Erythréens sont la première communauté de réfugiés au Royaume-Uni, devant les Pakistanais et les Syriens, selon le Bureau des statistiques britanniques.

Cependant, le système des allocations n’est pas forcément plus généreux qu’ailleurs en Europe. Pour un demandeur d’asile, la seule aide perçue est d’environ 35 livres (45 euros) par semaine, le temps que la demande d’asile soit examinée (six à dix-huit mois). Un demandeur d’asile n’a pas le droit de travailler et reçoit un logement provisoire.

Quid du « Brexit » ?

La question de Calais jouera un rôle important dans la campagne du référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. La jungle est depuis de longs mois au cœur des débats, y compris les plus mal informés. La presse eurosceptique, le Daily Mail et le Sun au premier chef, n’ont cessé de taper sur la France et son incapacité à gérer les candidats à l’exil arrêtés à Calais. En oubliant de revenir sur les faits. L’accord du Touquet a été signé le 4 février 2003, lors d’un sommet bilatéral entre Paris et Londres, par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, et son homologue britannique David Blunkett, hors cadre de l’UE. Le texte vise à « renforcer la coopération franco-britannique dans le cadre de la lutte contre l’immigration clandestine ». Comme Londres reste à l’extérieur des accords de Schengen, des accords bilatéraux sont nécessaires pour renforcer les contrôles aux frontières. Celui du Touquet intervient juste après la fermeture du camp de Sangatte, qui accueillait initialement des réfugiés du Kosovo. Techniquement, la frontière britannique est déplacée au point d’embarquement des réfugiés potentiels. A savoir à Calais. Au fil des ans, la surveillance et la gestion des réfugiés a ainsi de plus en plus reposé sur les autorités françaises.

En septembre 2014, les deux pays créent un fonds commun pour renforcer la lutte contre l’immigration clandestine. Londres le finance à hauteur de 15 millions d’euros et reconnaît être « responsable avec la France des mesures urgentes et de long terme qui doivent être mises en place ». Aujourd’hui, le camp du non au « Brexit » invoque le risque qu’en cas de sortie de l’UE, la France dénonce cet accord et suggère au Royaume-Uni de réinstaller sa frontière sur ses côtes. La jungle pourrait alors s’y transporter. »

Voir en ligne : http://www.liberation.fr/france/201...