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A Calais, la pression monte avant l’évacuation de la zone sud de la « jungle »

Publié le 22-02-2016

Source : www.lemonde.fr

Auteur : Marilyne Baumard

« Mardi 23 février à 20 heures expirera l’ultimatum posé par la préfète du Pas-de-Calais, Fabienne Buccio, pour l’évacuation de la zone sud de la « jungle » de Calais. En attendant que les bulldozers commencent leur destruction sur la moitié du campement où vivent plusieurs milliers de migrants, gouvernement et associations veulent s’allier l’opinion.

Le ministère de l’intérieur, condamné le 23 novembre 2015 par le Conseil d’Etat pour l’indignité du lieu, aimerait persuader que les 125 conteneurs qu’il a alignés et baptisés « centre d’accueil provisoire » sont un progrès par rapport au bidonville. De leur côté, les associations expliquent qu’elles ne défendent pas le bidonville, mais estiment que l’expulsion brutale des migrants est « une violation des droits fondamentaux » qui fragilisera davantage les plus vulnérables, grossira les camps voisins, et fera disparaître dans la nature des dizaines de mineurs isolés.

Sentant poindre l’affrontement, la Place Beauvau, qui avait mis le dossier entre parenthèses depuis les attentats du 13 novembre 2015, a choisi de communiquer de nouveau. Dans un entretien paru lundi dans La Voix du Nord, Bernard Cazeneuve réexpose sa politique et estime que cette évacuation constitue pour les migrants une « opération humanitaire où nous proposons une solution à tous », mais représente aussi une nouvelle étape dans l’allègement de la pression migratoire sur la ville de Calais. Dans l’après-midi, il devait visiter le centre d’accueil pour migrants du Mans. Dimanche, la préfète avait organisé aux côtés de deux élus de l’opposition – la maire de Calais, Natacha Bouchart, et le président de la région, Xavier Bertrand –, une énième présentation du centre de jour Jules-Ferry, qui accueille les migrants pour des douches et un repas quotidien ; avant de proposer une visite des conteneurs.

De leur côté, les associations estiment très insuffisantes les solutions pour accepter un démantèlement. Une lettre ouverte signée de huit grandes associations (Emmaüs, Fnars, Médecins du monde…) l’a fait savoir dès jeudi. Lemonde.fr en publie une autre lundi avec Mediapart, signée en quelques heures par 150 associations et de nombreuses personnalités.

1 600 cabanes

Lundi matin, L’Auberge des migrants, le Secours catholique, Réveil Voyageurs, et les autres calaisiennes qui travaillent chaque jour auprès des exilés devaient rappeler des propositions concrètes pour un véritable accueil. « Pourquoi ne crée-t-on pas des centres d’accueil dans les 150 kilomètres aux alentours, des maisons des migrants », plaide François Guennoc, de L’Auberge des migrants, reprenant une idée maintes fois proposée et toujours écartée. Quelque 2 665 migrants sont bien partis de Calais pour rejoindre 102 centres d’accueil et d’orientation (CAO) partout en France. Si 80 % ont fait une demande d’asile, l’incertitude règne sur ce qu’il adviendra des déboutés quand les CAO fermeront au printemps.

Pour M. Guennoc comme pour Vincent Deconinck du Secours catholique, les conteneurs chauffés ne sont pas non plus une solution. « Il ne suffit pas de mettre des corps au chaud pour créer des lieux de vie. Que fait-on de la dimension sociale dont ces hommes et ces femmes ont besoin comme les autres ? », demande M. Deconinck, qui depuis dix mois travaille à humaniser le lieu promis à la destruction.

Dans la « jungle », plus de 1 600 cabanes, parfois isolées du froid, ont été construites par L’Auberge des migrants, Médecins sans frontières et le Secours catholique. « Pour pas loin de 300 000 euros d’argent des donateurs », rappelle François Guennoc. Pour combler les manquements de l’Etat, humanitaires et bénévoles ont aussi édifié une école, une clinique, une bibliothèque, des lieux de culte et ont même organisé la prise en charge d’adolescents en difficulté.

« Politique à la petite semaine »

Aujourd’hui, les associations ont l’impression d’avoir été trompées.

[...]

Le comptage est un autre point d’achoppement entre l’Etat et les associations. Alors que l’Etat qui procède par « estimation », juge qu’entre 800 et 1 000 personnes vivent sur la zone sud du bidonville et sont à reloger, L’Auberge des migrants a mobilisé ses bénévoles et ceux de Help Refugees durant deux jours pour effectuer un recensement. « Nous avons interrogé les habitants, abri après abri, tente après tente, en partageant en neuf zones le secteur sud, explique François Guennoc. 3 455 personnes vivent sur cette moitié de la “jungle”, dont 440 mineurs. » Un nombre accrédité par la consommation d’eau et les tonnes de déchets qui en sont enlevées, selon les humanitaires.

Demande de suspension

Il y aurait donc à Calais au moins deux fois plus de migrants que l’Etat n’en dénombre, puisqu’ils « sont aussi nombreux au nord qu’au sud », ajoute Christian Salomé, de L’Auberge des migrants. Or, ce sujet est d’autant plus important que la présence de nombreuses tentes vides est un des arguments avancés par la préfète pour évacuer le lieu.
Saisi par dix associations, mais aussi par 238 migrants, le tribunal administratif de Lille se prononcera mardi après-midi sur un recours demandant la suspension de cette décision. « Nous avons proposé au juge de venir lui-même constater sur place que les deux tiers des tentes et abris ne sont pas vides, comme le laisse entendre la préfète », rappelle Julie Bonnier, avocate du barreau de l’Essonne. Fait rarissime, le juge devait se déplacer mardi matin pour observer la situation et pouvoir établir si une évacuation du lieu est ou non « une violation des droits fondamentaux des individus ». Les pelleteuses devront de toute façon attendre la décision du tribunal administratif. Dimanche, Mme Buccio rappelait pourtant que « le démantèlement devrait commencer mercredi » et que « la force publique ne sera pas engagée si chacun joue le jeu ». »

Les chiffres de la « jungle »
Entre 800 et 1 000 migrants vivent dans la zone sud, selon la préfète du Pas-de-Calais, Fabienne Buccio. Au total, ils sont 3700, toujours selon elle, à vivre dans la «  jungle  ».
3 455 migrants sont installés dans la zone sud, selon le recensement effectué du 15 au 18 février par l’association L’Auberge des migrants, avec Help Refugees.
293 mineurs sont sans famille et 90 d’entre eux ont de la famille proche en Grande-Bretagne.
96 % vivent dans des cabanes en dur, 4 % dans des tentes.

Voir en ligne : http://www.lemonde.fr/societe/artic...