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Geneviève Avenard, Défenseure des enfants : “Quelle place fait-­on à l’enfant en France ?”

Publié le 15-02-2016

Source : http://www.telerama.fr

Auteur : Juliette Bénabent

« Le comité des Nations Unies a rendu un rapport sévère sur les droits des enfants en France. Les commentaires de Geneviève Avenard, Défenseure des enfants depuis 2014.

Le 4 février, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, chargé d’évaluer l’application par les pays signataires de la Convention internationale des droits de l’enfant, a publié observations et recommandations à l’adresse de l’Etat français. De la situation désastreuse des enfants migrants à celle, peu enviable, de ceux atteints de handicap ; des fortes inégalités territoriales à l’interdiction demandée – et toujours pas appliquée –­ des châtiments corporels, c’est un tableau peu brillant que dessine le comité.

Geneviève Avenard est Défenseure des enfants depuis 2014 : cette institution a été créée en 2011, sous l’autorité du Défenseur des droits, pour surveiller l’application, en France, de la Convention internationale des droits de l’enfant, signée en 1989 et ratifiée en 1990. Elle réagit à ces recommandations.

Ce rapport vous­ a-­t-­il surprise ?
Non ! Il s’appuie sur des éléments précis et concrets remis au comité par différentes institutions, dont le Défenseur des droits dans son rapport de février 2015, qui ont fait part de leurs constats, analyses, évaluations sur l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant en France. J’ai animé un travail préparatoire à l’audition de la France par le comité, avec le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL, institution créée en 2007 afin de veiller au respect des droits des personnes dans les lieux où elles sont enfermées, comme les prisons ou les hôpitaux psychiatriques, NDLR) , et de nombreuses associations et collectifs. Les constats étaient donc bien connus et partagés. Ils ont été largement repris par le comité.

Parmi les nombreux thèmes évoqués, lequel vous semble relever de la plus grande urgence ?
Il est difficile de répondre à cette question, car tous ces thèmes méritent que des actions soient menées, ensemble. Le véritable enjeu est de mettre en place une stratégie nationale en faveur des enfants et des adolescents, qui s’applique pour tous, en particulier les plus vulnérables (enfants migrants, enfants handicapés, enfants vivant outre-­mer…), et de leur permettre une égalité d’accès à tous leurs droits (santé, éducation ...). Je rappelle que la prescription du Comité est d’appliquer ses recommandations déjà émises en 2009, lors de son dernier examen de la France !

Qu’avons-nous fait, nous, sixième puissance économique mondiale, pays des droits de l’homme, depuis 2009 ? nous demande-t-il aujourd’hui. Et qu’avons-­nous fait ?
Des progrès ont été réalisés, avec différentes lois importantes ou plans d’action, comme le plan autisme ou celui sur la lutte contre le harcèlement à l’école. Mais je constate, au travers des réclamations qui nous sont adressées, qu’il demeure un grand fossé entre les textes adoptés et la réalité. L’application effective des mesures et les outils de leur évaluation font défaut. Nous devons parvenir à une prise en compte réelle de l’intérêt de l’enfant dans l’ensemble de nos dispositifs, dans toutes les décisions qui les concernent. Par exemple, il n’existe pas en France d’obligation de conduire des études d’impact sur les droits des enfants lors des examens des projets de loi. C’est une recommandation forte du comité à la France. En bref, quelle place fait-­on à l’enfant dans notre pays ?

Dans votre rapport de février 2015, vous notiez en France « une certaine méconnaissance de la Convention internationale des droits de l’enfant » et même « une défiance à l’égard de la notion centrale de l’intérêt supérieur de l’enfant »...
Lors de mon arrivée en 2014, on m’a beaucoup demandé pourquoi parler des « droits » des enfants et non de leurs « devoirs », ou encore : « et les droits des parents, alors ? » Comme si l’on opposait les droits des enfants à ceux des adultes, comme s’il n’était pas évident que les adultes doivent protection aux enfants. On voit bien ce malentendu, par exemple, dans le fait que les droits des enfants ne sont enseignés dans aucune formation de professionnels de la justice, de l’éducation ou du social. Les droits de l’enfant sont encore trop souvent considérés comme une sorte de gadget sympathique, mais sans lien avec nos propres comportements et pratiques, alors que la Convention internationale des droits de l’enfant décline simplement les droits de l’homme en faveur des plus vulnérables : les plus jeunes. Elle énumère en réalité leurs besoins fondamentaux.

De telles lacunes semblent surprenantes pour la patrie des droits de l’homme !
Elles le sont en effet, et leur nombre et leur étendue - tous les enfants peuvent être concernés - m’ont beaucoup frappée à mon arrivée. Les effets sont délétères à court et à long terme. Il faut voir là, sans doute, le poids de notre histoire et de notre culture assez paternaliste : nous considérons souvent les enfants comme relevant de la sphère privée, de l’autorité et de la responsabilité de chaque parent. Nous devrions sans doute regarder du côté des pays d’Europe du Nord, notamment, qui ont développé des approches réellement respectueuses des droits des enfants et pour qui la collectivité a, en tant que telle, une responsabilité envers eux.

Les châtiments corporels, par exemple, ne sont pas formellement interdits en France, bien que le comité des Nations­ Unies l’ait déjà recommandé en 2009...
Et le Défenseur des droits aussi. La France est dans le dernier quart des pays européens qui ne les interdit pas par la loi (avec l’Italie,le Royaume­-Uni, la Slovénie, la Lituanie...) Et la secrétaire d’Etat, Laurence Rossignol, a clairement dit au comité des Nations-­Unies qu’elle n’entendait pas légiférer sur le sujet. Développer l’information et la sensibilisation à une éducation non violente est une très bonne chose, indispensable, car c’est difficile d’être parent, mais je pense qu’il faut absolument aller plus loin et prendre une mesure très claire, législative. Je sais que de nombreux Français ne sont pas convaincus, mais notre rôle est d’aider à une prise de conscience des conséquences sur la santé et le bien-­être des enfants de ce qu’on appelle aujourd’hui la violence ordinaire. C’est un sujet important sur lequel nous travaillons avec les associations concernées, afin que les recommandations du comité ne restent pas lettre morte.

Une autre recommandation concerne les mineurs étrangers isolés et réclame, là aussi depuis 2009, l’interdiction des tests osseux pour déterminer l’âge réel des adolescents migrants...
Nous avons émis un avis plutôt favorable sur la proposition de loi « protection de l’enfance » en cours d’examen devant le Parlement, mais je ne peux que déplorer fermement que ce texte, non seulement ne prévoie pas l’interdiction des tests osseux, mais en légalise même la pratique. Or, non seulement ces tests osseux sont inefficaces, sans aucune fiabilité, mais ils portent atteinte à la dignité des jeunes concernés puisqu’ils partent de la présomption que ces jeunes mentent en se disant mineurs - et en montrant souvent des documents qui en attestent. Plus globalement, on a changé d’échelle avec les mouvements de migrations de populations enregistrés en Europe depuis plusieurs mois. On y trouve de nombreux enfants, des jeunes de moins de 18 ans, en famille ou isolés, sur lesquels on ne dispose pas d’informations suffisantes. Il faut une vraie volonté politique, et pas seulement française, en leur faveur. Les Défenseurs des enfants des différents pays européens, réunis dans le réseau ENOC, ont décidé d’aborder cette question ensemble. À partir du moment où ces jeunes sont sur notre sol, nous avons le devoir de les prendre en charge. Nous leur devons aide et protection, au même titre que nos propres enfants. »

Voir en ligne : http://www.telerama.fr/idees/genevi...