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La Suède coupe le pont avec les demandeurs d’asile

Publié le 5-01-2016

Source : http://www.liberation.fr

Auteur : Anne-Françoise Hivert

« Rompant avec une longue tradition d’accueil, le royaume scandinave a rétabli lundi le contrôle à ses frontières, refusant l’entrée aux réfugiés sans papiers. Une volte-face qui fait bondir les ONG et embarrasse les Verts.

C’est le premier arrêt sur le sol suédois pour ce train parti une demi-heure plus tôt de la capitale danoise, direction Malmö, de l’autre côté du détroit de l’Öresund. En ce début de soirée, presque tous les sièges sont occupés. Une vingtaine de demandeurs d’asile sont montés à bord à Copenhague. Parmi eux, cinq jeunes Afghans, un sac sur le dos. L’un d’entre eux s’endort le train à peine sorti de gare. Ce sont ses copains qui le réveillent à la gare de Hyllie, côté suédois. Des policiers en uniforme, veste jaune fluorescente sur les épaules, contrôlent les papiers d’identité des passagers. Les réfugiés sont invités à les suivre. Devant la gare, un bus les attend pour les conduire au centre d’enregistrement de l’Office des migrations, au sud de Malmö. Les garçons descendent. Le train repart, avec une quinzaine de minutes de retard. Mais, depuis ce lundi, les contrôles ont lieu de l’autre côté de la frontière. Et ce ne sont plus les forces de l’ordre mais les compagnies de transport locales qui s’en chargent. Seuls les demandeurs d’asile présentant des papiers d’identité pourront passer. Les autres seront refoulés. Les chauffeurs de bus ou de train refusant d’effectuer les contrôles s’exposent à 50 000 couronnes (5 400 euros) d’amende. Le texte de loi, présenté par le gouvernement, composé des Verts et des sociaux-démocrates, a été adopté à la majorité au Parlement, le 17 décembre. C’en est donc fini du modèle suédois qui, avec l’Allemagne, faisait figure d’exception au sein de l’Union européenne.

En 2015, le royaume de 9,8 millions d’habitants a accueilli plus de 150 000 réfugiés, dont 35 000 mineurs non accompagnés. L’année précédente, la Suède avait déjà enregistré 81 000 demandes d’asile. Pourtant, jusqu’à présent, le gouvernement refusait de fermer ses frontières, évoquant la tradition d’accueil du pays et ses obligations internationales.

Coup de théâtre le 24 novembre : le Premier ministre, Stefan Löfven, flanqué de la porte-parole des Verts, Asa Romsom, les yeux rougis et parvenant à peine à retenir ses sanglots, annonce que la Suède « ne peut plus accueillir autant de demandeurs d’asile » qu’elle l’a fait jusqu’alors. Aux autres pays européens de prendre leurs responsabilités. Dans la foulée, il annonce le remplacement du permis de séjour permanent par un titre de séjour temporaire, l’obligation pour les candidats au regroupement familial de subvenir aux besoins de leur famille, l’instauration d’examens médicaux pour déterminer l’âge des mineurs non accompagnés…

« Un risque pour la sécurité »

Quelques jours plus tôt, l’Agence de la protection civile avait tiré la sonnette d’alarme. Sa porte-parole, Anneli Bergholm-Söder, explique : « Nous avons jugé que la sécurité était en jeu, notamment concernant les conditions de vie et la santé des demandeurs d’asile. Le système d’accueil fait face à une telle pression que les mineurs non accompagnés ne sont plus correctement pris en charge, et l’Office des migrations ne parvient plus à enregistrer les nouveaux arrivants. Nous avons des files d’attente partout, y compris dans les centres de soins, ce qui représente un risque pour la sécurité. »

Fallait-il pour autant refuser l’entrée à ceux qui n’ont pas de papiers d’identité ? « La Suède ne fait que s’aligner sur les autres pays européens », constate Mikael Ribbenvik, chef opérationnel à l’Office des migrations. Le droit d’asile, dit-il, n’est pas menacé : « Les réfugiés doivent déposer une demande dans le premier pays européen où ils arrivent. La plupart de ceux que nous recevons sont passés par le Danemark, qui est un pays démocratique sûr, ayant signé les conventions internationales. Le problème, c’est qu’il n’y a aucune solidarité entre les pays européens et que le système ne fonctionne plus quand les autres se replient sur eux-mêmes. »

Pas sûr que Copenhague ait compris le message. Le gouvernement libéral danois s’est en effet empressé d’annoncer qu’il envisageait de mettre en place, à son tour, des contrôles d’identité à ses frontières - après avoir fait savoir que les réfugiés pourraient être délestés des biens dont la valeur dépasse 300 euros, pour financer leur prise en charge. « Si d’autres pays font pareil, alors les demandeurs d’asile se retrouveront coincés en Grèce et en Italie, et il faudra bien que le programme de relocalisation, qui ne fonctionne pas pour le moment, soit respecté », constate Mikael Ribbenvik.

« Nous ne sommes pas à l’étroit »

En attendant, les avis sont très partagés en Suède. Parmi ceux qui ont voté contre le texte de loi, le député centriste Johan Hedin s’explique : « Peu importe ce que nous décidions de faire, ça aurait coûté cher [la ministre des Finances vient d’annoncer 860 millions d’euros de restrictions budgétaires pour financer l’accueil des nouveaux arrivants, ndlr]. Mais limiter les allées et venues entre la Suède et le Danemark risque d’avoir un effet négatif sur l’économie de toute la région. Or, il y a encore de la place en Suède, Nous ne sommes pas à l’étroit. Il aurait mieux fallu supprimer tous les obstacles à l’intégration qu’on trouve sur le marché de l’emploi ou du logement. »

De nombreuses ONG ont fait part de leur inquiétude, regrettant de ne pas avoir été consultées avant que les réformes soient annoncées. Madelaine Seidlitz, juriste auprès d’Amnesty International à Stockholm, parle d’une décision « prise dans la panique, incroyablement mal préparée, inintelligente et contre-productive ». Elle s’interroge sur les motifs : « Ce serait se mordre la queue si, à cause de notre Etat-providence et de notre modèle social, nous ne pouvions pas accepter que des gens dorment trois jours à même le sol en Suède, alors qu’ils risquent de dormir dans la rue pendant des années si nous fermons nos frontières. »

Pour les écologistes, qui siègent pour la première fois au gouvernement, c’est la douche froide. Depuis sa création, en 1981, le parti s’est toujours présenté comme le défenseur des droits des réfugiés. Plusieurs dizaines de militants ont déjà rendu leur carte. « L’ambiance est assez mauvaise, reconnaît le député stockholmois Jakop Dalunde. Nous aurions dû placer tous nos efforts dans l’augmentation de la capacité d’accueil plutôt que de compliquer encore un peu plus la vie de ceux qui sont déjà en grande difficulté. »

Mais Magda Rasmusson, responsable des questions d’immigration chez les Verts, assure que son parti n’a pas eu le choix : « Nous sommes bien conscients que les conséquences vont être négatives, mais il y a aussi une réalité à prendre en compte : la majorité du Parlement soutient cette politique, et si nous avions quitté le gouvernement, elle aurait de toute façon été menée sans nous, sans doute encore plus durement. En restant, nous pouvons au moins nous assurer qu’elle ne devienne pas permanente. »

Accélération des expulsions

A droite, c’est un peu comme si les verrous avaient sauté : rompant avec la politique de l’ex-Premier ministre, le conservateur Fredrik Reinfeldt, qui a toujours défendu une politique d’asile généreuse, le secrétaire du parti, Tomas Tobé, a déclaré qu’il aurait mieux valu « avoir plus tôt une régulation plus proche de celle des autres pays européens ». Anna Kinberg Batra, la patronne du parti, plaide, elle, pour l’accélération des expulsions des déboutés.

Les Suédois réclamant un durcissement des conditions d’accueil sont de plus en plus nombreux − ils sont passés de 30 à 42% en deux mois. Crédités de plus de 18% des intentions de vote (alors que la gauche atteint son pire niveau depuis 1991), les Démocrates de Suède (SD, extrême droite) se frottent les mains. Selon l’institut Ipsos, SD serait même le premier parti chez les hommes. »

Voir en ligne : http://www.liberation.fr/planete/20...