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150 à 200 mineurs vivent dans la "jungle" de Calais : leurs conditions de vie sont indignes

Publié le 23-12-2015

Source : http://leplus.nouvelobs.com

Auteur : Ecole laïque du Chemin des dunes Association
Édité par Sébastien Billard
Auteur parrainé par Louis Morice

« Aucun recensement précis n’existe. Mais selon des estimations, près de 150 à 200 mineurs, enfants et adolescents, vivraient actuellement dans la "jungle" de Calais, certains accompagnant leurs parents sur leur chemin de migration, d’autres étant des mineurs isolés. Des mineurs qui vivent dans des conditions déplorables, dénoncent les bénévoles de l’Ecole laïque du Chemin des dunes.

Il y a trois mois, le 21 septembre, la ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, présentait à Paris le dispositif d’accueil des "élèves allophones nouvellement arrivés" à destination des enfants de réfugiés syriens, irakiens ou érythréens accueillis en France.

Une quinzaine de jours auparavant, elle avait qualifié d’"insoutenable" la situation des migrants, plus "insoutenable", selon elle, que la photo de l’enfant syrien décédé qui avait fait réagir l’opinion publique…

Plus récemment, le 20 octobre, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, en visite à Calais, s’exprimait en ces termes :

"Aucune femme, aucun enfant ne sera sans abri à Calais au cours des mois qui viennent."

Environ 150 à 200 mineurs dans la "jungle"

Aujourd’hui, selon une grossière estimation – aucun recensement n’étant effectué – environ 150 à 200 mineurs, majoritairement des enfants de moins de 10 ans, vivent dans le camp de réfugiés de Calais, en dehors de toute structure d’accueil. La plupart accompagnent leurs parents sur leur chemin de migration, certains sont mineurs isolés.

Dans le cadre de l’Ecole laïque du Chemin des dunes (ELCD), structure créée de toutes pièces par un réfugié nigérian au sein du bidonville et où officient une trentaine de bénévoles qui enseignent et animent, nous rencontrons ces enfants et les accueillons autour d’activités éducatives, créatives ou ludiques.

Nous avons le devoir d’alerter sur la situation vécue actuellement par les enfants. Car malgré la condamnation de l’Etat, confirmée en appel, à aménager la "jungle" de Calais, des mineurs isolés ne sont pas systématiquement mis à l’abri, faute de place en centre d’accueil.

Un enfant de 12 ans souffrant d’un handicap mental doit se satisfaire d’une vieille caravane où il vit avec son père, sans réelle perspective de passage en Angleterre ou d’obtention de l’asile au prix d’un long parcours. Son père a été arrêté. L’adolescent est depuis hospitalisé suite à une crise d’épilepsie.

Un accès aux soins très réduit

A l’heure actuelle, les familles ne bénéficient toujours pas d’une structure d’accueil adaptée : les containers promis ne sont qu’au stade de l’installation et, imaginés avec un confort minimaliste, ne prévoient pas qu’ils puissent devenir de véritables lieux de vie, conformes aux attentes légitimes des familles réfugiées.

Le centre Jules Ferry ne propose que 200 places environ, à quelques femmes et enfants, et pour une durée limitée. Les hommes ne peuvent être hébergés ; les familles complètes n’y ont donc pas accès. Il arrive que des enfants y soient laissés sans encadrement effectif, dans de fragiles tentes sensibles aux intempéries en cet hiver pluvieux et venteux.

Un adolescent afghan de 10 ans, mineur isolé, y a été placé sans éducateur jusqu’à ce que les tentes soient endommagées par une tempête. Cet enfant est depuis à nouveau dans le camp sans protection.

Depuis le 17 novembre, la clinique de Médecins du Monde qui existait dans le camp, a été démantelée, réduisant brutalement l’accès aux soins médicaux, tandis que la population fragilisée du camp ne cesse de grandir.

Des conditions d’hygiène déplorables

Par cette accumulation de carences, les familles n’ont pas d’autre choix que de vivre dans des cabanes construites de palettes, de bois et de bâches, non isolées, sans électricité, sans chauffage, parfois dans des tentes ou des caravanes apportées par les bénévoles et associations.

La nourriture est théoriquement limitée au seul repas quotidien du centre Jules Ferry, et en pratique, les familles sont approvisionnées tant bien que mal par les bénévoles en majorité anglais et associatifs.

Les conditions d’hygiène sont déplorables. Pour les enfants, le manque de points d’eau à proximité des tentes et cabanes de fortune, ou tout simplement de latrines adaptées, est un problème quotidien.

Rappelons que le bidonville est implanté sur une zone insalubre à plusieurs égards : il s’agit d’une ancienne décharge à ciel ouvert où les immondices continuent de s’accumuler et que le site est majoritairement en zone SEVESO.

Les sourires des enfants révèlent une prévalence anormalement élevée de lésions de l’émail dentaire qui nous ont amenés à en référer à la jeune association "Dentistes Sans Frontières", afin qu’elle puisse mettre en place au plus vite une présence officielle de chirurgiens dentistes bénévoles sur Calais, le service médical du Centre Jules Ferry ne prévoyant pas de service dentaire permanent.

De nombreux dangers parsèment le camp jour et nuit

Au-delà de l’indigence de la prise en charge sanitaire des enfants, des situations inadmissibles nous sont rapportées.

Par exemple, nous avons pu constater les lésions oculaires occasionnées par les brulures de gaz lacrymogène sur un enfant de 15 mois, suite à l’usage qui est fait de ces bombes par les CRS...

Les enfants et adolescents sont en permanence exposés aux nombreux dangers qui parsèment le camp jour et nuit. Pourtant, la huitième recommandation du plan en 10 points proposé par l’UNICEF à la France et à l’Union européenne pour les guider dans la protection des enfants réfugiés et migrants et publié le 28 août 2015 précise :

"Tous les enfants – quel que soit leur statut légal ou celui de leurs parents – doivent bénéficier d’un accès équitable à une éducation de qualité, à des soins de santé – y compris de santé mentale – à la protection sociale et judiciaire."

Concernant plus spécifiquement l’accès à l’éducation, seules les initiatives personnelles des bénévoles contribuent à assurer le maintien d’un lien avec le monde scolaire.

J’ai cru que j’étais dans un autre monde, pas en France

Nous avons recueilli le témoignage de Denise, une enseignante bénévole originaire du Brésil, auquel nous nous associons pleinement :

"Quand j’étais encore au Brésil, fin 2014, je regardais l’évolution de la situation à Calais et je me disais : il faut que je fasse quelque chose en arrivant là-bas. En habitant si près je ne peux pas faire comme si rien ne s’y passe.

La première fois que j’y suis allée, j’ai cru que j’étais dans un autre monde, pas en France. Ce n’est pas possible ! Mais c’était bien vrai. Je suis habituée à vivre dans un pays très inégal, où la population plus pauvre vit dans la précarité et parfois dans la misère.

J’étais institutrice dans la banlieue de São Paulo pendant plus de 10 ans, j’ai même donné des cours dans un container en guise d’école. Mais je n’avais jamais vu des personnes dans un tel état d’abandon, dans l’un des pays le plus développé au monde, créateur de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Mon contact avec les enfants du camp de Calais s’est fait par le biais de l’Ecole laïque du Chemin des dunes, où ils viennent pour jouer et apprendre. Notre but est de garantir une continuité dans leur vie d’enfant, retrouver toutes les activités qu’ils ont été forcés à abandonner chez eux.

Les maladies respiratoires et les rhumes sont fréquents

On voit beaucoup d’enfants en bas âge et une majorité d’enfants entre 4 et 10 ans, qui ne sont pas scolarisés et qui passent leurs journées à jouer dans des endroits malsains, boueux, emplis de déchets et d’autres objets qui sont très dangereux pour leur santé et leur intégrité physique. Les conditions d’hygiène sont plus que précaires, presque inexistantes.

Pour les enfants, se laver les mains avant de manger, après une activité, aller aux toilettes… tous ces petits actes quotidiens deviennent compliqués.

Fréquemment, des mères nous demandent si on peut faire leur lessive chez nous. Comment laver et sécher du linge dans ce camp ? Une fois encore, c’est compliqué. C’est pour cela que l’on voit souvent des vêtements jetés un peu partout. Si on ne peut pas les laver, on les jette. Et après on essaye d’en avoir d’autres. Il ne s’agit pas de gaspillage conscient, volontaire car si les gens avaient les moyens, ils garderaient leurs habits propres et secs.

L’humidité est aussi un problème. On voit souvent les enfants soit avec leurs chaussettes mouillées, soit sans aucune chaussette. Leurs pieds sont toujours froids. Les maladies respiratoires et les rhumes sont d’autant plus fréquents.

On a des enfants qui ont du mal à se concentrer

Les conditions dans lesquelles ils dorment ne leur permettent pas de passer des nuits réparatrices nécessaires à un bon développement : le vent souffle fort, le froid et l’humidité empêchent un sommeil de qualité. On a des enfants qui ont du mal à se concentrer dans les activités proposées.

On a le cas d’une petite fille de 6 ans qui a été gravement brûlée suite à l’incendie dû à une bougie qui éclairait sa tente. Il faut souligner que le personnel de Médecins du Monde n’est plus dans le camp. Ils sont dans le centre Jules Ferry quelques heures par jour. Catastrophique.

Je peux vous donner d’autres exemples pour illustrer à quel point la vie dans le camp de Calais est pénible, surtout pour les enfants. Je n’ai même pas évoqué leurs blessures émotionnelles car, malgré les conditions de vie (je dirais même de survie), ces enfants gardent toujours le sourire, l’envie d’apprendre…

Cela fait presque deux mois que j’accompagne ces enfants. Ils méritent de pouvoir continuer à vivre leur enfance de façon digne, avoir accès à la santé, à l’éducation, être protégés…"

Permettre à ces mineurs de reprendre le cours de leur enfance

Menant des actions d’information sur le droit d’asile au sein de l’Ecole laïque du Chemin des dunes, Marie-Charlotte Fabié et Lou-Salomé Sorlin, avocats au barreau de Paris, déclarent :

"De nombreux mineurs isolés tentent au péril de leur vie de passer illégalement le soir en Angleterre afin de rejoindre des membres de leur famille installés outre-manche. De telles prises de risques illégales n’ont pas lieu d’être car l’Angleterre est de droit l’Etat membre responsable de leur demande d’asile conformément au règlement du 26 juin 2013 dit Dublin III.

En France, le Ministère de l’Intérieur a par ailleurs précisé dans une note du 7 décembre 2015 qu’il convenait d’identifier les migrants qui justifient d’attaches particulières au Royaume-Uni justifiant leur transfert légal vers ce pays et qu’"il est essentiel qu’un nombre significatif de situations soit remontées à la direction générale des étrangers en France afin que celle-ci puisse solliciter leur examen bienveillant par les autorités britanniques".

La diffusion de ces informations dans le bidonville de Calais et l’explication de leur droit aux mineurs sont essentiels pour éviter de nouveaux drames humains et permettre à ces mineurs de pouvoir reprendre auprès de leur famille le cours de leur vie et de leur enfance." »

Voir en ligne : http://leplus.nouvelobs.com/contrib...