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Retour sur la Ciné-Conférence organisée par IMAJE Santé à l’occasion de la sortie du film "Hope"

17 février 2015

Publié le lundi 30 mars 2015 , mis à jour le mercredi 8 juillet 2015

Retour sur la Ciné-Conférence organisée par IMAJE Santé à l’occasion de la sortie du film "Hope", mardi 17 février 2015

Source : http://www.fesj.org/

Auteur : Jeanne Inghel, volontaire Service Civique à la Fédération des Espaces Santé Jeunes

Le mardi 17 février 2015 s’est tenu au Cinéma des Variétés, à Marseille, une Ciné-Conférence autour du film « Hope » de Boris Lojkine et de la situation des mineurs isolés étrangers (MIE).
Cette soirée, proposée par IMAJE Santé, l’Espace Santé Jeunes de Marseille, était animée par Sylvie Dutertre et Franck Descombas, psychologues cliniciens au sein d’IMAJE Santé, et Nelly Robin, chercheuse en géographie au CNRS et spécialiste des migrations des mineurs isolés.
La soirée se divise en trois temps : une conférence de 30 minutes par Nelly Robin autour de son travail sur les parcours des migrants mineurs isolés, la projection du film et une séance de questions/réponses.

Nous commençons donc la soirée par la conférence de Nelly Robin, sur les « Mineurs en mobilité du Sahel aux rives sud de la Méditerranée ».
Cette étude se base sur la collecte et l’analyse d’environ 270 récits de vie de mineurs en mobilité.
Elle nous montre qu’il existe deux corridors terrestres principaux de migration de l’Afrique subsaharienne à la Méditerranée : le couloir Mali-Algérie et le couloir Nigeria-Algérie. Puis, nous analysons les lieux (villes-étapes, frontières, etc), les ressources économiques (travail, prostitution, mendicité, etc) et humaines (réseaux) et le parcours suivi par ces migrants.
N. Robin aborde alors la notion de « confiage », très importante pour comprendre ces migrations : les mineurs sont souvent confiés à un adulte qui offre aide et protection, donne accès à un réseau, en contrepartie d’un système d’alliance ou d’une exploitation sexuelle (c’est la traite).
Les termes de « mineurs isolés », « mineurs séparés », « mineurs non-accompagnés » sont donc remis en question : ils ne correspondent pas à la réalité et N. Robin leur préfère celui de « mineurs en mobilité ».

Suite à cette présentation, les lumières se baissent, et le film commence.
Nous rejoignons Hope et Léonard, parmi un groupe de migrants, au cœur du Sahara.
Léonard, un jeune Camerounais, fuit son pays pour remonter vers l’Europe. De son côté, la jeune Hope a quitté le Nigéria, ses terres d’origine.
Tous deux sont en mouvement, en migration vers l’Europe, et peu à peu apprennent à se connaître, à s’aimer, et font route ensemble...

« Hope — espoir, en anglais —, c’est le prénom de cette fille dont on ne saura pas grand-chose, sinon qu’elle fuit son pays, le ­Nigeria. Et qu’elle s’accroche en chemin à Leonard, un Camerounais, com­pagnon de hasard et de calvaire. D’abord méfiant et embarrassé, le jeune homme tombe peu à peu amoureux. Ce couple de migrants, d’amants naufragés, le réalisateur Boris Lojkine le suivra jusqu’aux portes de l’Europe, cette « terre promise », ce mirage pour lequel on accepte de tout endurer, le viol et la prostitution, la faim, l’épuisement et la peur. Du désert aux côtes marocaines, leur odyssée dresse la carte d’un monde radicalement ­hostile, balisé par des ghettos mafieux, peuplés de passeurs sans scrupules, de petits parrains quasi esclavagistes et autres loups engendrés par la misère humaine... L’histoire est aussi dure, aussi tragique que ses héros sont attachants, magnifiés par leurs interprètes sensibles, Justin Wang et Endurance Newton. Le temps de mor­dre dans quelques oranges volées, ou de partager des caresses au creux d’une prairie, ils nous offrent une lumière vacillante mais têtue, une ­petite flamme dans les ténèbres. » Cécile Mury, Télérama.

La lumière revient, les spectateurs s’ébrouent et le question/réponse entre les animateurs de la soirée et le public commence. D’abord une timide main levée, puis, peu à peu, nombreux sont ceux qui osent lever le bras pour poser des questions.

Extraits...

Question : Quels sont les jeunes reçus à IMAJE Santé et d’où viennent-ils ?
F. Descombas : Les jeunes reçus à IMAJE Santé arrivent d’Afrique Subsaharienne, du Maghreb, du Moyen-Orient ou d’Afghanistan, le plus fréquemment. Beaucoup de guinéens arrivent par bateau à Marseille, très traumatisés par leur traversée éprouvante.

Question : Comment les jeunes entrent-ils en contact avec IMAJE Santé ?

S. Dutertre : Le SAAMENA (Service d’Accueil et d’Accompagnement des Mineurs Étrangers Non Accompagnés, service de l’Addap13) et ses éducateurs de rue repèrent les MIE dans la rue, puis les dirige vers l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) qui les oriente vers IMAJE Santé. Les mineurs sont ensuite placés en MECS (Maison d’Enfants à Caractère Social). En effet, les éducateurs, témoins le plus souvent d’une grande souffrance psychologique chez les MIE, les mènent vers un suivi psychologique proposé à IMAJE Santé, qui dispose de psychologues et d’interprètes.
Les majeurs sont eux envoyés en Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA) et sont orientés vers IMAJE Santé par les travailleurs sociaux de la structure, puisque qu’IMAJE Santé reçoit jusque l’âge de 25 ans.

Question : Comme Léonard dans le film, les jeunes suivent-ils des études, afin d’obtenir des diplômes et s’insérer plus facilement dans la société française ?

N. Robin : Pour pouvoir rester en France, on exige des jeunes migrants qu’ils suivent des études. Cela est souvent très éloigné de leur projet de migration, le plus souvent économique, et repousse la réalisation de celui-ci, car il faut étudier avant de pouvoir travailler. Ce phénomène est légèrement différent avec les jeunes afghans, pakistanais et indiens, qui souhaitent plus souvent traverser l’Europe jusqu’à la Grande-Bretagne afin d’y poursuivre leurs études.

F. Descombas : Les guinéens souhaitent travailler très rapidement. Il y a donc une incompréhension et un renoncement au projet migratoire initial. Mais pour la grande majorité, on observe une inscription rapide dans les projets qu’on leur impose.

Question : Je suis italienne, de Palerme, et j’y ai beaucoup travaillé avec des femmes nigériennes victime de prostitution. Le film retrace avec précision et justesse la réalité, en particulier l’existence d’une dette à rembourser au passeur pour ces femmes et les rites vaudous qui les lient selon elles à leurs obligations. Face à une telle réalité, que peut-on faire, en tant que citoyen et en tant que professionnel du travail social ?

N. Robin : Il est très difficile de répondre à cette question. Néanmoins, il est nécessaire de sensibiliser les différents pays, leur police et leur justice, au droit des migrants, à celui des mineurs et aux lois concernant la traite d’êtres humains. En effet, ces lois et droits internationaux, déclinés dans chaque pays, sont souvent ignorés ou bafoués.

S. Dutertre : Le réalisme et la justesse du film tiennent au fait que le réalisateur s’est immergé durant plus d’un an dans le parcours migratoire, voyageant dans les différents pays, effectuant un grand travail de recherche de terrain afin de réaliser un film qui touche presque au docu-fiction.

Question : Les mineurs sont protégés, mais que se passe t-il passé 18 ans ? Cela doit être une grande angoisse à apaiser lors des consultations à IMAJE Santé ?

F. Descombas : La question des papiers, des « documents » comme disent les jeunes, est très prégnante. Cela tend à entraver l’aide psychologique car c’est une épée de Damoclès au dessus de la tête des jeunes. Ces derniers ne se sentant donc pas en sécurité, ils parlent moins facilement de leurs traumatismes tant qu’ils ne sont pas assurés de rester en France.

S. Dutertre : Cette angoisse peut aussi empêcher l’engagement dans les apprentissages comme la langue par exemple, tant que les jeunes sont incertains quand à leur avenir.

Question : Qu’advient-il de ces jeunes à 18ans ?

Thiery Courderc (SAAMENA) : La question est très difficile, une question très technique et complexe, difficile à vulgariser, et beaucoup de fausses informations circulent sur le sujet. Dans la réalité, il n’existe pas de quotas de régularisation des jeunes, bien que les lois se durcissent parfois, comme c’est le cas en ce moment. Il existe des différences dans l’application des ces lois. Sur Marseille, le taux de régularisation à 18 ans est plus élevé que dans d’autres départements français : tout ceci est question de volonté politique nationale et locale.
Globalement, il y a tout de même très peu d’expulsions.
A Marseille, 97% des garçons sont repérés, car ils évoluent dans l’espace public, ce qui est moins le cas pour les filles, qui sont donc moins repérables.

Question : Y a t-il assez de place en MECS pour tous les jeunes migrants ?

S. Dutertre : La circulaire Taubira prévoit de répartir les MIE, sans tenir compte du parcours du jeune, créant souvent une rupture. Il existe différents types de MECS : parfois les MIE sont mélangés aux autres publics, parfois la MECS accueille exclusivement des MIE.

Question : Existe t-il aussi en France des réseaux criminels ?

N. Robin : Oui, les réseaux de prostitution, mais ils concernent surtout les filles.

Question : Pourquoi des jeunes de 14 ou 15 ans souhaitent-ils entamer ce voyage ?

N. Robin : Ce phénomène peut être expliqué de différentes façons. Parfois, les jeunes appartiennent à un peuple traditionnellement migrateur. Les populations des grandes métropoles africaines, poussées vers la ville par un très fort exode rural, voient quant à elles dans l’Europe une « terre promise » pour sortir de l’impasse dans laquelle elles se trouvent. Certains enfants sont victimes des réseaux de traite, et enfin certains de ces jeunes migrants part pour aider sa famille, portant un grand poids sur les épaules. Culturellement, cet âge de 14-15 ans est un âge charnière : la migration apparaît comme un processus initiatique vers la vie d’adulte.

Question : Comment, en tant que professionnel de la santé, infirmière, médecin, etc, peut-on être accompagné dans nos pratiques face à ces populations qui nous sont culturellement éloignées ?

S. Dutertre : IMAJE Santé propose des formations à l’approche transculturelle à destination des professionnels de santé et du travail social.
Malgré les mains qui se lèvent désormais nombreuses, le temps nous contraint, et nous arrêtons ici la discussion... Pour la recommencer de manière informelle sur le trottoir et dans le hall du cinéma.

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