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Les mineurs isolés. Ces enfants sont-ils en danger ?

Interdépendances n°52 - 1er trimestre 2004

Publié le vendredi 21 mai 2004 , mis à jour le lundi 21 mai 2012

Cet article est issu du dossier Protection de l’enfance - Éduquer sans formater paru dans Interdépendances n°52 - 1er trimestre 2004.

Auteur :
Gilles Le Bail

"Le nombre de mineurs isolés étrangers qui entrent seuls en France est en constante augmentation ces dernières années. Ils fuient leur pays d’origine pour échapper à toutes sortes de drames : les uns espèrent simplement trouver dans notre pays des conditions de vie moins difficiles, d’autres sont des enfants maltraités qui ne sont protégés par aucun dispositif dans leur pays, enfin certains fuient des persécutions ou les atrocités de pays en guerre. Quelques services de l’Aide sociale à l’enfance et des magistrats de la jeunesse ne souhaitent toujours pas considérer ce public comme relevant de « l’enfance en danger ». Pourtant, une réelle prise en charge doit être envisagée.

Les mineurs isolés forment une population hétérogène tant par leurs nationalités, leurs cultures, leurs langues et leurs histoires personnelles. Bien que le point de passage le plus important soit l’aéroport de Roissy-Charles-De-Gaulle, ils arrivent en France de diverses manières. Selon les modalités et les lieux de leur arrivée, ils font l’objet d’orientations différentes. L’Aide sociale à l’enfance, la Protection judiciaire de la jeunesse et le secteur associatif sont les principaux acteurs intervenant dans une première phase où le mineur « étranger » est identifié, même provisoirement comme isolé. Il peut l’être dès la sortie de la zone d’attente, après quelques jours ou quelques mois d’errance sur le territoire ou à la suite d’une arrestation par la police pour avoir commis un vol. Il peut être trouvé dans un atelier clandestin ou se prostituer dans la rue. Ces situations très différentes posent de nombreuses difficultés quant au traitement social, judiciaire et administratif du mineur. On s’aperçoit alors qu’il est loin d’être homogène.

La situation d’isolement du mineur devrait conduire à un placement à l’Aide sociale à l’enfance et induire une procédure judiciaire ou administrative. La procédure minimale devrait être dans l’ordre, le signalement au parquet, la saisine du juge des enfants, enfin la saisine du juge des tutelles pour mettre en place une tutelle familiale ou sociale. En fait, les interprétations et les pratiques changent d’un département à un autre et l’on perçoit des freins récurrents à la mise en place d’une protection.

Les mineurs isolés sont susceptibles de faire l’objet d’un examen osseux pour vérifier leur âge. Au service des urgences médico-judiciaires, un médecin compare alors la radiographie d’un poignet et de la main gauche à celui d’un atlas élaboré dans les années 1930 aux Etats-Unis auprès d’une population blanche d’origine européenne... Ce qui nous interroge... L’examen osseux, sur ses bases actuelles, montre toutes les réticences à protéger, au titre de l’enfance en danger, les mineurs isolés étrangers.

Les freins à la mise en place de la protection des mineurs

Quels sont les freins à la mise en œuvre de cette protection ? Il y a d’abord le refus de considérer que la protection de l’enfance s’applique à tout mineur présent sur le territoire français, refus qui se greffe sur une certaine analyse juridique qui dénie aux zones aéroportuaires la qualité de territoire français. Le juge du 35 quater (1) a tendance à considérer que les mineurs qui se présentent aux frontières sont avant tout des étrangers auxquels il faut appliquer la logique politique et juridique de la législation sur les étrangers, et que seuls les mineurs admis à entrer sur le territoire peuvent être concernés par le dispositif de protection de l’enfance. La politique de contrôle des flux migratoires va donc l’emporter sur la mise en œuvre d’une véritable politique de protection de l’enfance et de lutte contre les réseaux clandestins organisant l’arrivée de ces jeunes.

Autre obstacle, le refus ou la mauvaise volonté des services de protection de l’enfance pour prendre en charge ces mineurs, au motif qu’il n’appartient pas aux départements de financer la prise en charge de mineurs étrangers dont l’admission sur le territoire relève d’une décision de l’État. Cette réaction est très sensible dans de nombreux départements de la région parisienne mais également dans les Bouches-du-Rhône et dans tous les départements où se trouvent des zones aéroportuaires.

La crainte d’une invasion par des mineurs étrangers isolés venant chercher protection en France est telle, qu’elle incite les administrations à ne pas appliquer le droit. Les conseils généraux s’interrogent également sur les raisons qui devraient les inciter à payer pour des mineurs qui ne sont pas sur leur territoire. Non seulement ils viennent d’ailleurs, mais, de plus, ils n’appartiennent à aucune organisation administrative du territoire français. La question de leur prise en charge fait donc éclater la logique de la décentralisation.

On rencontre également des blocages qui tiennent plutôt à la pratique des intervenants sociaux. Ils viennent de la crainte de certains travailleurs sociaux, de foyers, de structures collectives de protection de l’enfance, de s’installer véritablement dans la prise en charge de ces mineurs aux problèmes tellement spécifiques, qui n’ont pas les mêmes attentes que les autres, dont on ne comprend pas obligatoirement les traumatismes, avec lesquels on a les plus grandes difficultés à bâtir des projets professionnels et des projets de formation parce qu’ils n’ont pas de papiers. Une réelle prise en charge signifierait que les éducateurs développent avec lui une démarche d’insertion. Mais elle est sans cesse remise en question par la perspective d’obtenir ou non « des papiers ». Va-t-il rester en France ? Cela se pose avec encore plus d’importance lorsque le jeune a plus de 16 ans et qu’il ne peut être scolarisé, ni intégrer une formation professionnelle, ni travailler légalement

Inquiétudes des intervenants sociaux

Les travailleurs sociaux sont également confrontés au mythe du retour en famille. Nous sommes tous imprégnés de l’idée que les enfants que nous accueillons dans les dispositifs de protection de l’enfance doivent, très rapidement, être rendus à leur famille une fois le travail autour de la relation parents-enfant effectué. Or, ce processus, quand il s’agit d’enfants étrangers sans parents, comment le mettre en œuvre ? Nous avons beau faire jouer tous nos mécanismes professionnels, c’est extrêmement difficile, voire impossible. Il y a donc une forme d’absence de culture professionnelle sur la façon de travailler avec des mineurs par définition autonomes, puisqu’ils sont sans représentants légaux, et avec lesquels l’objectif n’est pas le retour en famille mais la construction d’un projet de vie sans qu’il y ait obligatoirement des représentants familiaux dans la dynamique de travail. La complexité de cette situation interroge les intervenants sociaux en matière de protection de l’enfance.

Cette question de l’acquisition d’un titre de séjour, puis de la nationalité française, doit être considérée avec soin, d’une part parce que c’est au mineur de choisir, de décider s’il est prêt ou non à faire cette démarche, d’autre part, parce que nous devons comprendre, voire dépasser nos réticences et réfléchir sur la manière aujourd’hui d’être à la fois de là-bas et d’ici, d’appartenir à plusieurs pays, à plusieurs cultures. Au nom du respect des origines, du respect de la famille, du respect du droit au retour, il ne nous appartient pas de bloquer une possibilité d’intégration dans la nationalité française.

Pourrons-nous continuer à laisser des enfants en danger sans protection, du fait d’une politique de l’immigration restrictive alors qu’il existe, en France, un dispositif protecteur qui permet l’accueil en urgence, la protection et l’acquisition à dix-huit ans de la nationalité française ? Les mineurs isolés étrangers sont loin d’être perçus comme des « enfants comme les autres », à tel point que la dimension enfance s’estompe le plus souvent dans la dimension immigration. Au-delà des craintes, fréquemment déclarées, concernant « l’appel d’air » provoqué par leur accueil dans le dispositif de la protection de l’enfance, l’interrogation porte sur le sens de cette présence en France. La spécificité de ce public a du mal à être identifiée et pensée dans des catégories autres que celles, traditionnelles de la migration et de l’enfance en danger. Pourtant, leur présence est l’occasion de réfléchir à la mise en place de catégories davantage pertinentes pour comprendre les réalités migratoires actuelles et de s’interroger enfin sur une protection internationale de l’enfance.

Population « hors norme » pour les services de l’Aide sociale à l’enfance et pour les magistrats de la jeunesse, trop nombreux sont ceux qui restent réticents à la considérer comme relevant de « l’enfance en danger ». Pourtant, il s’agit bien de considérer le mineur isolé étranger comme pouvant bénéficier du dispositif de protection de l’enfance. Aborder l’accueil des mineurs étrangers isolés en se disant qu’il s’agit avant tout d’une personne en danger et non d’une personne étrangère, c’est se positionner à contre-courant des pratiques actuelles. Et pourtant, il s’agit simplement d’envisager une réelle prise en compte de la personne humaine en restaurant, le plus souvent, son intégrité pour qu’elle se sente respectée dans toute sa dignité."

Gilles Le Bail

(1) Juge du tribunal de grande instance nommé ainsi en référence à l’article 35 quater de l’ordonnance de 1945 sur l’entrée et le séjour des étrangers.